La brigade al-Baraa de l'Armée syrienne libre a fait toute une prise, samedi dernier, en kidnappant 48 Iraniens à Damas.

Les ravisseurs ont annoncé avoir capturé un contingent militaire dépêché par Téhéran à la rescousse du président Bachar al-Assad.

Rien à voir, ce sont de simples touristes religieux en pèlerinage en Syrie, s'est défendu l'Iran. Les insurgés ont répliqué en montrant les cartes d'identité de leurs otages, associant certains d'entre eux aux Gardiens de la révolution, ce corps d'élite du Guide suprême iranien. D'accord, il y a quelques gardes révolutionnaires parmi les captifs, mais ce sont des retraités, a tenté de tempérer Téhéran.

Une cinquantaine d'hommes en pèlerinage dans un pays à feu et à sang? Et certains seraient comme par hasard des soldats à la retraite? La Syrie abrite effectivement deux hauts lieux de l'islam chiite, signale Salam Kawakibi, directeur de recherche à l'Initiative arabe de réforme, réseau de centres de recherche sur le monde arabe. L'un de ces lieux se trouve dans un quartier dévasté d'Alep. L'autre dans un faubourg de Damas. «Aux deux endroits, il y a eu des massacres. C'est difficile de croire que des pèlerins allaient se rendre précisément là!»

Difficile, en effet. De toute évidence, la présence de ces «pèlerins» n'est qu'un des signes de l'engagement de l'Iran aux côtés du régime syrien. Les analystes s'entendent pour dire que le pays des ayatollahs aide le dictateur syrien depuis les premiers jours de la révolte. Appui informatique, soutien à la guerre électronique, équipement de surveillance, mais aussi fusils à lunettes, drones et francs-tireurs. Cette semaine, l'Iran s'est aussi lancé dans une offensive diplomatique, en annonçant la tenue d'une conférence sur la Syrie et en avertissant qu'il ne permettrait jamais que l'on affaiblisse «l'axe de résistance» contre Israël - axe qui passe par le fameux «croissant chiite», lequel inclut la Syrie de Bachar al-Assad.

Geste annonciateur d'un appui militaire plus costaud? Peut-être. Mais Salam Kawakibi voit plutôt dans ces manoeuvres un signe de faiblesse de la part d'un pays qui veut sauver ses billes dans une éventuelle transition post-Assad.

Chose certaine, la chute du régime syrien dégonflerait considérablement la sphère d'influence iranienne au Moyen-Orient. Il s'agirait d'un chapitre décisif dans le grand jeu qui oppose musulmans sunnites et chiites dans ce coin du globe.

Ces récentes turbulences viennent rappeler à quel point la guerre meurtrière qui déchire la Syrie déborde au-delà de ses frontières. Exception faite de quelques affrontements entre pro et anti-Assad au Liban voisin, la violence est pour l'instant contenue à l'intérieur du territoire syrien. Mais les ramifications politiques, elles, ont des proportions largement internationales. Plus que ça n'a été le cas pour n'importe quel autre «printemps arabe».

Du côté pro-Assad, il y a aussi la Russie, qui cherche à préserver son ultime allié dans le monde arabe, et soutient le régime Assad militairement et diplomatiquement. Et le Hezbollah, qui fait la vie dure aux réfugiés syriens au Liban.

Les insurgés, eux, ont l'appui de l'Arabie saoudite et du Qatar, qui les aident avec leurs pétrodollars et leurs chaînes satellitaires. Et que l'on soupçonne de faire miroiter de belles récompenses aux proches d'Assad qui flirtent avec l'idée de changer de camp.

Et puis, il y a la Turquie, qui évoque l'idée d'une zone de protection pour les rebelles syriens, sans oser jouer cette carte, de crainte de trop indisposer l'Iran. Et Washington, qui marche sur des oeufs, surtout en cette saison électorale. Par-dessus tout ça, il y a quelques djihadistes étrangers qui se réclament plus ou moins d'Al-Qaïda. Sans oublier le flot continu des réfugiés qui atteint les pays voisins, aux prises avec leurs propres fragilités. Dont, tenez-vous bien, l'Irak.

Ce qui prévient peut-être, actuellement, une explosion régionale, c'est le sentiment unanime qu'elle serait catastrophique. Les acteurs étrangers avancent leurs pions à petits coups. Tous craignent l'embrasement comme la peste. C'est une sorte d'équilibre de la terreur qui fait en sorte que chaque acteur sait jusqu'où ne pas aller trop loin...

Ces interférences internationales dans la guerre civile syrienne ne sont pas fatales, du moins pas pour l'instant. Mais comme l'écrivait récemment l'International Crisis Group, les puissances étrangères qui s'y sont trempé les mains ont fait, jusqu'à maintenant, beaucoup plus pour alimenter le feu que pour éteindre les flammes.

Pour joindre notre chroniqueuse: agruda@lapresse.ca