La dernière fois que j'ai parlé avec Alia, c'était en février, tout au début de l'offensive militaire du régime syrien contre sa ville - Homs.

J'avais réussi à l'attraper au cellulaire par miracle, entre deux black-outs. La jeune femme venait de quitter en catastrophe sa maison du quartier Inchaat, voisin de celui de Baba Amr, où se jouait la bataille la plus féroce entre les rebelles et l'armée de Bachar al-Assad.

Elle s'était réfugiée chez ses parents, avec son mari Nader et leur bambin, Aboudi. Ils avaient quitté l'oeil du cyclone. Mais ils vivaient toujours sous la menace des snipers et les bombardements quotidiens.

«Nous sommes au-delà de la peur», m'avait-elle dit alors, et c'est le titre dont j'avais coiffé mon article, où Alia apparaissait sous un faux nom, question de ne pas trop l'exposer aux yeux du régime.

J'ai revu Alia cette semaine, à Montréal, où elle a atterri avec sa petite famille, un mois après notre conversation. Elle ne craint plus de témoigner à nom découvert. Elle a laissé sa peur du régime derrière elle, avec son rêve de voir tomber rapidement la dictature.

Alia et Nader ont décidé de partir le matin où ils ont vu une maison en flammes sur la chaîne Al-Jazira. C'était la maison voisine de la pharmacie de Nader, dans la vieille ville de Homs. Ils ont senti l'étau de la guerre se resserrer autour d'eux. Quelques jours plus tôt, un cousin de Nader avait disparu sans laisser de traces. Il n'y avait plus un seul coin de Homs où vivre dans une relative sécurité.

Avant de partir, Alia a réussi à retourner brièvement chez elle, avec un sac pour ramasser ses affaires. Elle a trouvé une maison saccagée: vaisselle fracassée, vêtements jetés sur le sol, cuisinière propulsée au milieu de la cuisine. «Ils ont détruit tout ce qu'ils ne pouvaient pas voler.»

Les intrus avaient laissé des inscriptions sur les murs. L'acte de pillage était signé: Armée syrienne libre. Mais Alia n'en croit rien. Des voisins lui ont raconté que des soldats de l'armée régulière avaient bel et bien habité chez elle, pendant l'offensive contre Baba Amr. Et Alia ne doute pas une seconde que ce sont eux, et non les soldats rebelles, qui ont détruit sa vaisselle et volé son téléviseur à écran plat.

Alia a eu 90 minutes pour remplir son sac et partir. «J'étais triste. Mais il y a des mères qui ont perdu un fils, des gens qui ont perdu un bras ou une jambe...»

La petite famille a quitté son pays à feu et à sang pour le Liban, puis Montréal. Ancienne étudiante à l'Université McGill, Alia a le passeport canadien. Nader a fait sa demande d'asile politique. Cours de français, requalification professionnelle: ils ont entrepris le parcours du combattant qui attend les gens qui commencent une nouvelle vie, à des dizaines de milliers de kilomètres du pays qui les a vus naître.

Mais une partie de leur coeur est restée à Homs. Ils y téléphonent plusieurs fois par semaine. Ils ont ainsi appris que les derniers résistants de l'armée libre ne tiennent plus que des bouts de quartiers, dont celui de la vieille ville. Que depuis l'arrivée des premiers observateurs de l'ONU, Homs s'est apaisé.

«Il y a même des policiers qui surveillent la circulation. Mais il n'y a plus de circulation!», s'étonne Alia, qui a vu la majorité de ses amis quitter sa ville.

Quand je lui avais parlé, en février, Alia était convaincue que le régime de Bachar al-Assad était condamné, à plus ou moins brève échéance. Cette certitude avait d'ailleurs, étrangement, anesthésié sa peur des bombes.

Mais Alia n'a plus de certitudes. Elle voit bien que l'Armée syrienne libre n'est pas capable de gagner cette guerre. Et qu'il n'y a pas grand monde pour voler à son secours. «On a l'impression qu'il n'y a personne pour payer le prix du renversement du régime Assad», dit-elle amèrement.

Il reste les Casques bleus, dont la présence a fait taire les canons à Homs. Mais Alia doute que leur nombre - 300 - soit suffisant pour apaiser tout le pays. Ces derniers jours, d'ailleurs, le feu du régime syrien a changé de cible. Il vise maintenant une autre ville, Hama. Où les morts se comptent par dizaines.