Qu'y a-t-il en commun entre le roi Juan Carlos d'Espagne, la ministre canadienne de la Coopération internationale, Bev Oda, et le président français, Nicolas Sarkozy?

Ils se sont tous trois illustrés par un goût du luxe tranchant d'une façon outrancière avec les préoccupations et les conditions de vie de la majorité de leurs concitoyens. Ainsi, la ministre Oda a refusé de dormir dans un hôtel cinq étoiles à Londres, où elle participait à une conférence internationale, l'été dernier. Pas assez bien pour elle. Mme Oda a plutôt opté pour l'ultrachic Savoy, ce qui a porté ses dépenses, limousine et chauffeur compris, à plus de 1000$ par jour.

C'est la même ministre qui, faut-il le rappeler, vient d'imposer des coupes radicales à l'aide internationale canadienne. Mme Oda assure qu'elle a remboursé le coût excédentaire de la chambre... pas plus tard qu'hier. Soit au lendemain de la parution de l'article incriminant. Gênant, très gênant.

Le roi Juan Carlos, lui, a été chasser l'éléphant au Botswana, une excursion de plus de 60 000$, au moment même où le taux de chômage des jeunes Espagnols fracasse tous les records. La nouvelle a causé un tel choc qu'il a dû s'excuser pour son extravagance.

Et enfin, il y a cette image captée en pleine campagne électorale, où l'on voit Nicolas Sarkozy tentant de camoufler sa montre de 70 000$, chic cadeau de sa femme.

Ces trois événements, survenus à des milliers de kilomètres de distance, illustrent la coupure abyssale entre les élites politiques et le peuple qu'elles sont censées représenter. Une coupure d'autant plus insupportable en période de crise et d'austérité.

Les élections canadiennes sont encore loin, Bev Oda peut dormir tranquille. Le roi Juan Carlos est, par définition, inamovible. Mais Nicolas Sarkozy, lui, a subi une puissante dégelée dimanche, au premier tour de l'élection présidentielle. Et le bling-bling et l'élitisme qu'incarne l'incident de la montre ne sont pas étrangers à cette défaite.

Celle-ci marque un précédent: pour la première fois dans l'histoire moderne de la France, un président en exercice se fait doubler dès le premier tour de scrutin.

Autre première: avec 18% des voix, Marine Le Pen a récolté les meilleurs résultats jamais obtenus par le Front national, dépassant même le record précédent, marqué par son père, il y a 10 ans.

Ce premier tour est un peu paradoxal: c'est le socialiste François Hollande qui est arrivé en tête. Mais c'est la victoire relative de Marine Le Pen qui constitue le fait le plus marquant du scrutin.

Comment expliquer son succès? Marine Le Pen a réussi à «dédiaboliser» son parti. Son sourire aidant, le Front national fait moins peur. Mais sa troisième place, c'est aussi le résultat d'un «vote de protestation contre des partis qui ne proposent pas de solutions convaincantes aux problèmes de la France, tout en profitant des avantages du pouvoir», écrit le journaliste Pierre Haski. D'ailleurs, la chef du FN a puisé ses appuis en grande partie chez les jeunes et les ouvriers - premières victimes de la crise économique actuelle.

Mais Nicolas Sarkozy a lui aussi contribué au succès de la candidate d'extrême droite. Comment? En jouant sur le terrain traditionnel du FN, avec des thèmes tels que l'immigration et la viande halal. Du coup, il a rendu le discours de Marine Le Pen plus acceptable.

Il compte maintenant continuer à jouer sur ce terrain d'ici au 6 mai, dans l'espoir d'attirer les électeurs «bleu Marine» dans son propre camp. La partie est loin d'être gagnée. Et s'il la perd, c'est Marine qui va être contente: elle mise sur sa déconfiture pour tenter de reconstruire la droite française autour de son propre parti.

On se retrouve ainsi devant une situation étrange, où une victoire de François Hollande risque, à moyen terme, de pousser la droite... plus à droite. Une «droitisation» qui, le cas échéant, ne serait pas sans rappeler ce qu'on voit ailleurs en Europe, de la Suède au Danemark, en passant par les Pays-Bas et la Hongrie.

On n'en est pas encore là, mais c'est le scénario que dessinent les sondages. Un scénario paradoxal et inquiétant.