C'est par un bref communiqué, tout juste 243 mots dans sa version française, que le ministre des Affaires étrangères, John Baird, a scellé hier le sort de l'organisme Droits et Démocratie.

Quatre petits paragraphes comme épitaphe pour un organisme qui a fait rayonner le Canada, pendant près d'un quart de siècle, dans les coins les plus malmenés de la planète. Avouez que c'est maigre.

Mais cette annonce n'est pas seulement laconique. C'est aussi un monument de mauvaise foi. Le communiqué rappelle les récents «problèmes» de Droits et Démocratie et souligne qu'ils ont été «exposés sur la place publique.» On devine que, aux yeux du ministre, l'organisme a un peu contribué à sa chute.

Sauf que, dans sa précipitation, le ministre Baird omet de dire que les problèmes de Droits et Démocratie ont été créés de toutes pièces par son propre gouvernement. Et que la crise qui a secoué cet organisme, il y a un peu plus de deux ans, était le résultat d'une prise de contrôle hostile qui présageait, hélas, ce qui allait suivre.

Droits et Démocratie a été fondé en 1988 par un autre gouvernement conservateur, celui de Brian Mulroney. Son mandat: promouvoir les valeurs démocratiques et les droits de l'homme là où ils sont le plus menacés. L'organisme est censé être indépendant du gouvernement qui l'a créé, et qui nomme néanmoins son conseil d'administration et son président. C'est un peu contradictoire. Mais comme preuve de la neutralité politique de la nouvelle créature, son premier patron est nul autre que l'ancien chef néo-démocrate Ed Broadbent.

Pendant plus de 20 ans, Droits et Démocratie est donc présent dans des pays qui bafouent les droits de leurs citoyens: Afghanistan, Colombie, Égypte, Zimbabwe. Et aussi, de façon plutôt marginale, en Palestine. L'organisme n'est pas là pour faire la charité. Il essaie d'outiller les hommes et les femmes qui habitent ces pays pour qu'ils puissent défendre leurs droits. À l'occasion, cela implique un discours politique critique.

Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement de Stephen Harper entreprend de domestiquer la bête. Comment? En changeant progressivement le conseil d'administration de Droits et Démocratie. Les nouveaux venus viennent d'un terreau idéologique bien particulier: la droite conservatrice pro-israélienne. Parmi eux, il y a l'avocat Jacques Gauthier, auteur d'une thèse qui affirme que Jérusalem appartient légalement au peuple juif. Michael Van Pelt, qui dirige une organisation évangélique chrétienne. Et David Matas, avocat de B'nai Brith. Leur cible: le président de l'organisme, Rémy Beauregard.

Pendant des mois, ce dernier vit un cauchemar administratif. On lui reproche tout et son contraire. Il doit faire appel à la Loi sur l'accès à l'information pour obtenir son propre rapport d'évaluation! Il y apprend qu'on lui reproche notamment de ne pas avoir embauché d'employés juifs. Les administrateurs d'un organisme chargé de lutter contre la discrimination scrutent les origines ethniques de leurs employés: c'est du délire.

Rémy Beauregard a beau accepter de mettre fin aux projets palestiniens qui titillent les nouveaux administrateurs, rien n'y fait. Il est poussé vers la sortie.

C'est quand il est terrassé par un infarctus, au lendemain d'une réunion houleuse, que la crise de Droits et Démocratie éclate dans les médias, en janvier 2010. Les nouveaux administrateurs, qui laissent planer des doutes sur la probité de sa gestion, déclenchent une enquête coûteuse. Celle-ci ne trouve rien à se mettre sous la dent. Un nouveau président est nommé. Les vagues se calment.

Mais le problème de fond reste. Le gouvernement Harper n'aime pas les organisations qui tiennent un discours trop politique à l'étranger. Il asphyxie plusieurs ONG, comme Kairos ou Alternatives, qu'il juge trop militantes. Avec Droits et Démocratie, c'est plus difficile. Son existence est sanctionnée par une loi. Les conservateurs doivent être majoritaires pour lui couper la tête...

C'est chose faite. Et quoi qu'en dise le ministre Baird, ça n'a rien à voir avec les problèmes internes de l'organisation. Ottawa a fini par avoir la peau d'une organisation que les conservateurs de Stephen Harper voulaient décapiter depuis le début. C'est tout.