Si tout s'était passé comme prévu, une dizaine de jeunes médecins québécois se seraient envolés vers le Mali, la semaine dernière, pour un mois de stage en santé internationale.

Au moment où j'écris ces lignes, ils auraient déjà rejoint un centre de santé communautaire de Bamako, ou alors en brousse, près de Ségué ou de Koniakry. Accouchements, maladies tropicales, médecine dans des conditions minimalistes: ils y auraient vécu une expérience professionnelle unique, avec, en prime, un choc culturel garanti.

Mais tout ne s'est pas passé comme prévu. L'université de Sherbrooke, qui organise ces stages médicaux depuis 15 ans, a annulé le départ à la dernière minute. Cause: tensions sociales causées par la reprise de la rébellion armée des Touaregs, dans les régions désertiques du nord du Mali. Les contrecoups de ces troubles se sont fait sentir jusque dans la capitale.

«La situation était très explosive, nous avons appliqué le principe de précaution», explique le Dr François Couturier, qui coordonne ces stages médicaux. Les jeunes médecins qui préparaient ce voyage depuis des mois se sont retrouvés avec leurs rêves cassés et des billets non remboursables sur les bras...

Ce voyage annulé n'est qu'un effet, évidemment bénin, de la crise dans laquelle s'enfonce le Mali depuis un mois. Au coeur de cette crise: les mercenaires maliens qui ont combattu pour Mouammar Kadhafi, en Libye. Il s'agit surtout de Touaregs, ces tribus qui peuplent le désert du Sahel au Mali, mais aussi en Algérie, en Mauritanie, au Niger. Nomades, ils sont reconnaissables à leurs foulards d'un bleu électrique.

Quand le régime de Kadhafi s'est effondré, des centaines, et peut-être même des milliers de soldats touaregs ont fui la Libye. Dans leurs bagages, ils ont emporté des armes. Beaucoup d'armes.

Ces habitants du désert, farouchement opposés à toute domination étrangère, ont derrière eux une longue histoire de rébellion. Il y a aussi eu des périodes d'apaisement. Au Mali, l'arrivée massive des armes de Kadhafi vient rompre un fragile équilibre.

Le 24 janvier, des rebelles touaregs ont attaqué une garnison de l'armée malienne à Aguelhok, dans le Sahel malien. Selon les dernières estimations, 82 militaires ont été froidement assassinés.

Ce carnage a choqué les Maliens. L'opinion publique malienne s'est déchaînée. Elle reproche au gouvernement de ne pas avoir protégé les soldats. Dans plusieurs villes maliennes, il y a eu une véritable chasse aux Touaregs. Pas seulement les rebelles. Tous les Touaregs.

Les civils ont commencé à fuir leurs villages, puis le Mali. Au moins 15 000 ont trouvé refuge dans les pays voisins. Et des dizaines de milliers ont été déplacés à l'intérieur même du Mali. Selon les experts, la situation reste tendue. Et cette crise risque d'avoir un impact important. Des élections doivent avoir lieu au Mali ce printemps. Et tous les partis ne parlent que d'une chose: les rebelles touaregs.

«Ce qui se passe actuellement au Mali est très sérieux, très inquiétant», dit le diplomate canadien Robert Fowler.

Robert Fowler a été enlevé par une cellule terroriste affiliée à Al-Qaïda, en 2008, au Niger. Il y avait été dépêché par l'ONU pour tenter de rétablir le dialogue entre les rebelles touaregs et le gouvernement nigérien. Il a passé 130 jours en captivité, surtout du côté malien de la frontière. Et il y avait deux Touaregs parmi ses ravisseurs. On peut dire qu'il a une expérience unique du Sahel...

Selon lui, les combattants maliens formaient les légions de «grands tueurs» de Kadhafi.» «Ces gens-là sont armés jusqu'aux dents, ils ont les mains ensanglantées et les poches pleines de cash.»

Que veulent-ils au juste? «Ils veulent un pays à eux. Mais c'est un objectif flou, imprécis et irréalisable», tranche Robert Fowler.

Les Touaregs ne sont pas tous des rebelles armés, évidemment. Et certains mercenaires de Kadhafi ont rejoint l'armée malienne à leur retour. N'empêche: l'arrivée de centaines de rebelles avec leurs armes lourdes, c'est assez pour déstabiliser un pays pauvre et fragile comme le Mali.

«Le Mali n'a pas de pétrole, il n'a pas de bois précieux. Ce qu'il a, c'est la paix et la démocratie», dit le Dr François Couturier, qui s'inquiète pour l'avenir de ces deux «ressources naturelles.

Mais il y a aussi une autre raison de s'inquiéter, et elle dépasse les frontières du Mali. Car les turbulences qui affectent le Mali depuis trois semaines sont la conséquence directe de la chute du régime de Kadhafi, en Libye. Ça donne une idée de ce qui risque d'arriver après la chute de la dictature syrienne - qui a des ramifications internationales autrement plus étendues.