La pluie a commencé à tomber sur Kinshasa le 2 décembre, en soirée, s'abattant sur les sacs entreposés pêle-mêle devant les bureaux de la Commission électorale nationale indépendante, la CENI.

Ces sacs contenaient les résultats du scrutin présidentiel de toutes les circonscriptions de la capitale congolaise. Le vote avait eu lieu le 28 novembre, mais les procédures ont traîné en longueur, et les enveloppes renfermant les procès-verbaux de tous les bureaux électoraux de Kinshasa attendaient dehors, sans protection.

Quand il s'est mis à pleuvoir, des gens bien intentionnés ont entrepris de placer les sacs à l'abri, dans le plus grand chaos. «Il n'y avait aucun système de rangement, et le lendemain, j'ai vu des gens fouiller dans les sacs à la recherche de leurs plis (enveloppes), se souvient Baya Kara, observatrice électorale en République démocratique du Congo (RDC) pour le centre Carter.

L'ONG de l'ancien président des États-Unis avait dépêché une soixantaine d'observateurs surveiller le scrutin dans les 11 provinces de cet immense pays. Baya Kara se trouvait dans la capitale, où elle a aussi vu des responsables de centres de traitement de vote ouvrir les enveloppes pour écrire on ne sait trop quoi sur les procès verbaux. «Je corrige des erreurs», lui a expliqué l'un d'entre eux...

Mais l'image qui a le plus frappé cette habituée d'élections africaines, c'est celle des gens cherchant leurs enveloppes dans un capharnaüm absolu. «Je n'avais encore jamais vu ça!»

Au total, les procès-verbaux de plus de 2000 bureaux de vote, représentant 300 000 électeurs, se sont volatilisés à Kinshasa. Des scènes semblables ont eu lieu ailleurs au pays. Pour un total de 1,6 million de votes perdus, selon la mission d'observation de l'Union européenne. C'est énorme.

Les observateurs de ce scrutin ont dressé une longue liste d'autres irrégularités. Leur conclusion: les résultats du vote, qui accordent la victoire au président Joseph Kabila, ne sont pas crédibles. Point.

Ils hésitent à conclure à une fraude massive orchestrée par l'État. Mais Thierry Vircoulon, qui a suivi le vote pour l'International Crisis Group, observe que par un hasard étrange, les résultats ont disparu surtout là où le président est le moins populaire. À Kinshasa, par exemple. Ou dans la province de Kasaï. «C'étaient des disparitions géographiquement sélectives.» Facile à imaginer qui a dessiné cette géographie. Et à quelle fin.

Les images de sacs éventrés et de bulletins de vote éparpillés sur le sol m'ont ramenée en novembre 2010, en Haïti, où une présidentielle hautement contestée avait donné lieu à des scènes semblables - un chaos qui favorisait comme par hasard le poulain du régime.

La Commission électorale acquise au gouvernement avait classé ce candidat en deuxième place, en route pour le second tour. Mais contrairement à la RDC, la communauté internationale avait alors mis son poing sur la table. Sous la pression, le candidat du régime s'est retiré de la course.

Rien de tel en RDC où les acteurs internationaux ont raté quelques occasions de rétablir la crédibilité de ce scrutin, bien avant le 28 novembre, rappelle Thierry Vircoulon. Quand le président Kabila a changé la Constitution pour décréter que la présidentielle ne compterait désormais qu'un seul tour, par exemple.

Peut-on encore se rattraper? Le hic, dans ce scrutin, c'est que le principal adversaire du président, Étienne Thisedeki, est loin de faire l'unanimité. Ne serait-ce qu'en raison de ses déclarations incendiaires pendant la campagne électorale.

De là à avaliser des résultats aussi visiblement triturés, il y a un pas. L'International Crisis Group appelle à une enquête internationale chargée, entre autres, de retrouver le million et demi de votes perdus. Si elle ne les retrouve pas, un deuxième vote aurait lieu dans les circonscriptions touchées.

Mais pour en arriver là, il faudrait faire de grosses, grosses pressions sur le président Kabila. Il faudrait aussi accepter une éventuelle victoire de son opposant. Et il faudrait aussi mettre de l'argent, alors que ce scrutin a déjà avalé un million de fonds internationaux.

Mais c'est probablement le seul moyen pour désamorcer la bombe à retardement congolaise qui, en attente de résultats électoraux crédibles, menace d'exploser à plus ou moins brève échéance.