Vous ne l'avez probablement jamais vue, mais vous l'avez peut-être entendue parler de la révolution syrienne sur CNN, ou sur Al-Jazeera.

Avec son anglais un peu hésitant et sa voix teintée de fatigue, Razan Zaitouneh passe ses journées à recueillir et diffuser des informations sur le soulèvement qui secoue son pays depuis trois mois. Fait rarissime: elle n'a pas peur de signer ses témoignages de son propre nom.

Compte tenu du blackout que le régime syrien a imposé à son pays, la jeune avocate est l'une des rares fenêtres ouvertes sur cette crise qui a déjà fait plus de 1 300 morts, des milliers de blessés et d'innombrables prisonniers.

Parmi ceux-ci, il y a le mari de Razan Zaitouneh, Wael Hammada, arrêté il y a un mois. La jeune femme de 34 ans est recherchée, elle aussi. Elle vit dans la clandestinité, change fréquemment d'adresse pour éviter d'être repérée. Et elle parle.

J'ai joint Razan jeudi, alors que de longues colonnes de blindés se dirigeaient vers la petite ville de Jisr al-Shoughour, dans le nord-ouest du pays.

«L'armée a encerclé la dernière ville sur la route de Jisr al-Shoughour, nous craignons un massacre», m'a-t-elle dit ce jour-là.

Je lui ai reparlé hier, alors que le massacre venait de commencer. «Près de Jisr al-Shoughour, l'armée a brûlé une mosquée et une usine de tapis où des gens avaient trouvé refuge», a-t-elle énuméré.

Jisr el-Shoughour était survolée par des hélicoptères qui tiraient sur les rares habitants à ne pas avoir fui la ville. La ville était aussi arrosée de tirs d'artillerie.

Selon un communiqué du gouvernement, l'armée avait entrepris de «remplir ses obligations» à Jisr al-Shoughour où elle s'était rendue pour réprimer une rébellion armée contre les forces de l'ordre, qui aurait fait une centaine de victimes, la semaine dernière.

Mais ça, c'est la version officielle. Qui n'a rien à voir avec les témoignages recueillis par Razan Zaitouneh, selon lesquels l'explosion de violence de la semaine avait eu lieu au sein même de l'armée.

«Des soldats avaient refusé de tirer sur leur propre peuple et ils ont joint les protestataires», raconte Razan Zaitouneh. L'affrontement armé s'est produit entre les mutins et les soldats fidèles au régime.

Le récit de Razan Zaitouneh a été corroboré par plusieurs réfugiés qui ont fui en Turquie, cette semaine. Les autorités turques les ont tenus à l'écart des médias, un traitement difficilement justifiable, soit dit en passant.

Heureusement, cette chape de secret n'était pas étanche. Et plusieurs journalistes ont réussi à parler à des rescapés de Jisr al-Shoughour.

Le récit le plus détaillé a été publié dans le Globe and Mail, hier. Il en ressort que le vendredi 3 juin, des protestataires avaient brièvement détenu une vingtaine de policiers. Quelques heures plus tard, une étrange brigade d'homme barbus et vêtus de noir, travaillant pour le régime, est arrivée à Jisr al-Shoughour.

Un de ces «hommes en noir» a abattu un jeune homme de bonne famille. Le lendemain, ses funérailles ont attiré des milliers de personnes. Des snipers ont fait pleuvoir des balles sur la foule. Des policiers locaux leur auraient tiré dessus. La mutinerie venait de commencer.

Ce récit ne dit peut-être pas tout, mais il est beaucoup plus crédible que les sornettes du régime, qui cherche à justifier son attaque contre la ville.

«Chaque fois que le gouvernement tue des gens, il prétend qu'il s'agit de criminels», dénonce Razan Zaitouneh.

La répression a franchi un nouveau seuil de violence, hier. Mais les protestataires sont plus décidés que jamais à continuer, assure la dissidente. «Les gens n'ont jamais été aussi déterminés, nous sentons que la liberté approche.»

La communauté internationale peut-elle faire quelque chose pour accélérer la chute du dictateur? «Il faut que le monde cesse de faire comme s'il y avait encore moyen de négocier avec le régime», réclame Razan Zaitouneh.

Et ces minorités qui appuient le régime, de crainte que sa chute ne se retourne contre elles? «Je comprends que les minorités aient peur, parce que le régime a joué cette carte pendant des décennies. Il nous appartient de leur faire sentir que la révolution est pour tout le monde.»

Razan Zaitouneh n'a-t-elle donc pas peur? Ne craint-elle pas pour sa peau? «Mais tout le monde a peur, ici. Seulement, notre espoir est plus grand que notre peur.»