C'est l'histoire d'un pays où 80% des jeunes mamans restent à la maison pour s'occuper de leurs enfants d'âge préscolaire. Et où celles qui ne le font pas passent pour de mauvaises mères.

Forcément, dans ce pays, les femmes conjuguent difficilement carrière et vie de famille. Elles brillent par leur absence dans les postes de direction. Et les conseils d'administration des grandes entreprises y sont masculins à... 97%.

Une ministre a voulu combler ce déficit en imposant des quotas de présence féminine. Son projet a soulevé un débat houleux. En plein coeur de la discussion, le patron de la banque nationale du pays a eu ce mot d'esprit: augmenter le nombre de femmes à la direction de ma banque? Pas de problème, cela la rendra plus «colorée et jolie».

Cette histoire ne date pas de la préhistoire. Et elle ne concerne pas quelque pays lointain aux moeurs étranges. Le débat a eu lieu en plein coeur de l'Europe, plus précisément en Allemagne. Et c'est en février que le patron de la Deutsche Bank, Josef Ackermann, a ainsi réduit les femmes à un rôle décoratif.

C'est pour lutter contre ce stéréotype, et aussi contre l'écart salarial entre les hommes et les femmes, l'un des plus élevés en Europe, que la ministre du Travail, Ursula von der Leyen, a voulu imposer un seuil de 40% de présence féminine dans les CA. Ce à quoi la ministre de la Famille, Kristina Schröder, a répondu: «C'est la réalité: beaucoup de femmes aiment étudier l'allemand et les lettres; les hommes, d'un autre côté, les études de génie informatique - il y a des conséquences sur les salaires.»

Il est difficile d'imaginer que ce débat se déroule en 2011, plusieurs décennies après la révolution féministe. Mais l'image de la mère allemande est tenace. Tellement que Barbara Vinken, professeure dans une université de Munich, y a consacré un livre. Voici son diagnostic: «Les femmes allemandes ont intériorisé la notion selon laquelle elles doivent choisir: ou bien elles sont mères, ou alors elles deviennent comme des hommes pour s'imposer dans le monde professionnel.»

Un peu comme la chancelière Angela Merkel, qui n'a pas d'enfant. Et qui a tranché le débat sur les quotas: il n'y en aura pas.

Alors que les femmes allemandes sont prisonnières du stéréotype de la maman, dans l'Italie de Silvio Berlusconi, le modèle dominant est plutôt celui de la «pitoune.»

«L'image des femmes en Italie a subi une longue régression depuis les années 90», dit Michela Marzano, auteure d'un essai dont le titre résume sa vision de la position des Italiennes du XXIe siècle: Sois belle et tais-toi.

Cette régression a commencé avec l'arrivée de filles légèrement vêtues dans les émissions de variétés. Leur rôle se résumait à tendre à l'animateur un bout de papier qu'on appelle velina - nom qui a été accolé aux belles messagères.

«Ces jeunes femmes qui dansaient et chantaient mais ne disaient jamais un mot ont envahi les écrans», dit Michela Marzano. Et à mesure qu'elles se sont multipliées, les autres femmes, elles, ont disparu. Les jeunes Italiennes en ont déduit que leur unique compétence, «c'est la maîtrise de leur corps, la capacité de rester jeunes et belles et de nourrir les fantasmes des hommes».

Selon Michela Marzano, les Italiennes sont placées devant un choix: ou elles deviennent des showgirls, ou bien elles rentrent à la maison pour faire des enfants. C'est le retour du vieux cliché: la maman ou la putain.

Comme l'Allemagne, l'Italie n'offre aucun service de garde public. Les écarts de salaires y sont parmi les plus élevés en Europe. Le taux de femmes au travail est parmi les plus bas. Et l'indice de fécondité, parmi les plus faméliques de la planète.

Indignées par les frasques de leur premier ministre, les Italiennes se sont récemment mobilisées pour combattre ces stéréotypes. Quant à Michela Marzano, elle tire une leçon de ces années de déclin: il ne faut tenir aucune victoire pour acquise. «Dès que l'on cesse d'être vigilant, il y a risque de recul.»

À méditer, en ce lendemain du 8 mars.

agnes.gruda@lapresse.ca