Quand je l'ai eue au bout du fil, hier, Malak Rouchdy a d'abord baissé le son de la radio. Elle avait passé la soirée rivée à l'appareil, à essayer de suivre le mouvement de révolte qui secoue l'Égypte depuis trois jours.

Nous avons commencé par faire le tour du pays: «Il y a des affrontements sérieux à Suez et aussi dans un village du Sinaï, mais au Caire c'est plutôt calme.»

Sociologue à l'Université américaine du Caire, Malak Rouchdy a participé aux manifestations, mardi. Les tirs et les sirènes de police l'ont ensuite tenue éveillée pendant la nuit. Malgré la répression, le mouvement de révolte a pris de l'ampleur. Et une épreuve de force est attendue pour aujourd'hui, alors qu'une coalition d'opposants appelle les Égyptiens à manifester massivement après les traditionnels prêches du vendredi.

«Ce qui est fascinant, c'est qu'on n'entend aucun message islamique ni slogan de parti politique. C'est le peuple qui demande du changement, s'émerveille Malak Rouchdy. J'ai 50 ans et je n'avais jamais vu ça. Les gens n'ont plus peur.»

Ce n'est pas la première fois que le régime de Moubarak, qui dirige le pays depuis trois décennies, fait face à la révolte. Au printemps 2008, un appel à la grève avait paralysé la capitale. Les principaux organisateurs des manifestations de cette semaine appartiennent d'ailleurs au Mouvement du 6-avril, né dans la foulée de cet événement.

Parmi les manifestants, on trouve quelques figures célèbres, dont l'opposant Ayman Nour, ou l'ex-directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique, Mohamed El Baradei, rentré en Égypte hier. Mais, un peu comme en Tunisie, c'est une révolte spontanée qui a précipité les Égyptiens dans les rues, et non quelque parti politique organisé. Révolte contre quoi? Contre tout: les inégalités croissantes, l'oppression, la corruption d'un régime qui, en se présentant comme un rempart contre l'islamisme, s'est arrogé le monopole du pouvoir. Avec la complicité de l'Occident.

La situation n'est pas nouvelle. Mais il y a eu Tunis...

«Ce qui s'est passé en Tunisie nous a réveillés. Nous n'avons jamais vu ça, au Moyen-Orient, un peuple qui descend dans la rue pour renverser un président», dit Shereen Eltouny, étudiante à l'Université Concordia et Égyptienne d'origine. Elle est en contact avec de nombreux manifestants du Caire. Elle non plus n'en revient pas de voir s'effondrer «les barrières de la peur.»

Le régime de Hosni Moubarak a réagi par le bâton et la carotte. D'un côté, une répression policière féroce. De l'autre, des promesses de réformes. «Mais aujourd'hui, les Égyptiens veulent plus que des réformes, ils veulent un changement de régime», dit Shereen Eltouny.

Sauf que l'Égypte n'est pas la Tunisie. Son régime a un vernis de légitimité que n'avait pas l'ex-président Ben Ali. Pour laisser sortir un peu de pression, il a permis une plus grande liberté d'expression. Et l'armée y est particulièrement implacable, explique le politologue Rachad Antonius.

En même temps, des voix internes fissurent l'édifice Moubarak. Pris entre deux feux, jusqu'où peut-il aller sans provoquer sa propre chute? Impensable il y a quelques jours à peine, un changement de régime n'est plus tout à fait inconcevable. Peut-être pas demain. Mais dans quelques semaines. Ou quelques mois.

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Dans un rapport qui a fait sensation en 2002, le Programme des Nations unies pour le développement a critiqué le monde arabe pour ses atteintes à la liberté, son sous-développement et son retard colossal en matière d'éducation.

Les Tunisiens n'ont pas encore terminé leur révolution, les Égyptiens viennent d'amorcer la leur, et ça commence à bouger du côté du Yémen. Les situations varient d'un pays à l'autre. Et les risques de dérapage ou de récupération politique sont présents partout.

N'empêche: ce que tous ces protestataires disent à leurs dirigeants, c'est qu'ils en ont assez d'être maintenus de force à l'écart du progrès et de la modernité. Ces derniers ont intérêt à entendre le message.