D'abord, la bonne nouvelle: Incendies, le film québécois qui évoque les ravages de la guerre civile au Liban, vient d'être mis en nomination pour l'Oscar du meilleur film étranger. Ensuite, la mauvaise: ce film est malheureusement plus actuel que jamais.

Depuis la fin de la guerre, il y a 20 ans, ce petit pays a souvent frôlé la catastrophe. Mais rarement d'aussi près qu'aujourd'hui.

Les tensions qui risquent de faire sortir les fantômes libanais de leur hibernation s'agitent à différents niveaux. Le plus visible: le Tribunal spécial qui doit juger les responsables du meurtre de l'ex-premier ministre Rafic Hariri, assassiné en février 2005. L'acte d'accusation a été déposé la semaine dernière. Il est confidentiel, mais le Hezbollah, parti chiite radical dont l'influence ne cesse de progresser au Liban, craint d'être mis en cause. Il milite pour que le gouvernement libanais désavoue le tribunal.

Jouant le tout pour le tout, les députés du Hezbollah ont démissionné en bloc, le 12 janvier, provoquant la chute du gouvernement. Et hier, c'est un politicien qui a le soutien du «parti de Dieu», Najib Mikati, qui a été chargé de former le prochain gouvernement.

Dans le délicat équilibre politique libanais, le poste de premier ministre est réservé à un musulman sunnite. C'est la confession à laquelle appartient Najib Mikati. Ce milliardaire a longtemps été perçu comme un homme de compromis. Mais l'est-il encore, alors qu'il accepte de s'associer avec le Hezbollah? Chose certaine, celui-ci a des raisons évidentes de le préférer à Saad Hariri, le fils de l'ancien premier ministre assassiné qui dirigeait le gouvernement tombé le 12 janvier.

De nombreux Libanais, surtout chez les sunnites, ont l'impression que le choix de Najib Mikati ne représente ni plus ni moins qu'une sorte de «coup d'État constitutionnel», selon les mots du politicologue Sami Aoun. Résultat: des milliers de manifestants sont descendus dans les rues, hier, pour protester contre leur prochain dirigeant. Des manifestations qui ont parfois dérapé dans la violence. Et qui avaient plus à voir avec les vieux démons libanais qu'avec la fièvre démocratique qui fait contagion ailleurs dans le monde arabe, depuis que les Tunisiens ont fait fuir leur dictateur.

Sous cette confrontation autour du Tribunal spécial se dessine un conflit plus large, et plus fondamental, pour le contrôle politique du pays. C'est qu'avec sa mosaïque religieuse éclatée, le Liban maintient la paix grâce à un accord sur le partage de pouvoir qui date de la fin de la guerre civile. Et qui accorde un nombre déterminé de postes de députés à chacune des grandes communautés religieuses du pays: chrétiens maronites, musulmans chiites et sunnites.

Mais depuis 20 ans, la réalité démographique a changé. Des milliers de chrétiens ont quitté le pays. Et le poids des chiites a augmenté. Parallèlement, le Hezbollah, parti islamiste qui a longtemps incarné la résistance contre Israël, a peu à peu investi le champ de bataille politique. Seule force armée du pays, il est devenu la force politique la plus puissante au Liban.

Or, que veut le Hezbollah? En plus de chercher à empêcher le procès pour le meurtre de Rafic Hariri, il souhaite revoir les règles de représentation politique au Liban. Pour les rendre plus fidèles à la démographie de 2011... Sujet ultra sensible qui renvoie à des litiges datant de l'époque de la guerre civile.

Les derniers événements placent le Liban à un carrefour périlleux. La confrontation entre sunnites et chiites risque de s'envenimer.

«Le Liban vient de faire un saut dans l'inconnu», avait écrit l'éditorialiste libanais Issa Goraïeb au lendemain de la chute du gouvernement. «La crise libanaise est insoluble», a-t-il commenté quand je l'ai joint au téléphone, quelques jours plus tard.

«Le Liban est dans une situation de blocage politique total, tout le monde essaie d'éviter le dérapage, mais c'est très, très tendu», constate Marie-Joëlle Zahar, de l'Université de Montréal. Selon elle, le Hezbollah ne cherche pas un affrontement violent: il croit pouvoir parvenir à ses fins par la voie politique. Les événements des derniers jours lui donnent d'ailleurs raison. Du côté de la coalition regroupée autour de Saad Hariri, on ne cherche pas non plus la confrontation armée, de crainte de ne pas faire le poids.

Mais dans cet équilibre ultra fragile, il n'en faudrait pas beaucoup pour faire flamber le pays.