C'est l'histoire d'une guerre atroce, qui a duré 10 ans, fait des millions de victimes, tout en restant largement ignorée de la planète.

Dans un rapport historique publié hier à Genève, l'ONU recense pour la première fois les grandes vagues de violence qui ont dévasté la République démocratique du Congo entre 1993 et 2003. Le rapport dresse un inventaire de l'horreur, province par province, année après année.

Sa conclusion: les responsables de ces massacres ont commis des crimes contre l'humanité, et peut-être même des actes génocidaires. Même si les hostilités sont officiellement terminées, ce cycle de violence se perpétue toujours, de façon sporadique. Et si on veut que la paix revienne vraiment dans ce pays, les auteurs de ces atrocités doivent être jugés.

Tous les groupes ethniques congolais ont été victimes d'exactions, qui n'ont épargné personne. «Presque chaque personne a une ou plusieurs histoires de souffrance et de perte à raconter», écrit la haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Navanethem Pillay.

Mais le drame des réfugiés hutus, qui avaient fui le Rwanda voisin après le génocide de 1994, occupe une place importante dans le rapport.

Des milliers de civils avaient trouvé abri dans des camps de fortune, où se sont aussi réfugiés des génocidaires en fuite. Ces camps ont fait l'objet d'attaques massives, entre autres par l'armée de l'actuel président du Rwanda, Paul Kagame. Des attaques potentiellement génocidaires, dit le rapport de l'ONU.

Une première version du rapport a «coulé» dans les médias à la fin de l'été, déclenchant une grosse tempête diplomatique. Furieux, le Rwanda a menacé de se retirer des forces de paix africaines au Darfour.

L'incident a forcé l'ONU à retarder la publication du rapport. Mais malgré l'ajout de quelques bémols, l'organisation internationale persiste et signe: l'hypothèse d'une entreprise génocidaire menée par l'armée rwandaise contre les réfugiés hutus mérite d'être examinée par un tribunal.

Le Rwanda fulmine de nouveau. Dans une réponse de 30 pages, il accuse l'ONU de s'être fait manipuler par des organisations et individus qui cherchent à «réécrire l'histoire» du génocide rwandais, et à «rallumer le conflit au Rwanda et dans la région». Une réplique qui n'est pas sans rappeler les réponses servies par le régime Kagame à tous ses critiques...

Deux autres pays montrés du doigt pour le rôle qu'ils ont joué en RDC, l'Ouganda et le Burundi, ont aussi réagi hier. Mais la réplique du Rwanda est particulièrement cinglante.

Il faut dire que le rapport remet en question toute une lecture de l'histoire récente du Rwanda: celle qui attribue à l'armée de Paul Kagame le mérite d'avoir mis fin au génocide des Tutsis. Et ferme complètement les yeux sur ses propres crimes à l'endroit des Hutus.

Le rapport ne vise pas personnellement le président Kagame. Mais il cite l'actuel chef d'état-major rwandais, James Kabarebe, déjà recherché par la justice espagnole. Des procès intentés dans la foulée du rapport pourraient évidemment éclabousser bien des gens haut placés au Rwanda. Y compris, éventuellement, le président.

Tout le monde marche donc sur des oeufs. Le rapport, pourtant majeur, a été lancé sans conférence de presse. Et il fallait regarder bien attentivement sur le site web du Haut-Commissariat pour le dénicher... Une discrétion qui montre à quel point le document est explosif.

Les faits étayés par le rapport du Haut-Commissariat ne sont pas tous nouveaux. Le Québécois Denis Tougas, de l'Entraide missionnaire, les a documentés année après année, pendant 10 ans.

Il se rappelle encore de sa consternation quand le général canadien Maurice Baril, en visite en RDC en 1997, avait conclu qu'il n'y avait plus de réfugiés rwandais dans ce pays. Les atrocités dans les camps de réfugiés s'y sont poursuivies pendant encore six ans...

Comment Denis Tougas a-t-il réagi en lisant le rapport? «Quand on met tout ça ensemble, on comprend que c'est de l'ampleur des grandes guerres.»

Génocide ou pas, des crimes horribles ont été commis en RDC. Certains des criminels jouent, aujourd'hui encore, un rôle actif dans ce pays - et perpétuent le cycle de la violence.

La communauté internationale, qui a longtemps fermé les yeux sur ces atrocités, fait aujourd'hui face à un nouveau défi: faire pression sur le gouvernement congolais pour l'inciter à rendre justice. Et à tourner ainsi la page sur un chapitre horrible de l'histoire africaine.