Ça n'a peut-être pas été le pire boulot de ma vie, mais certainement le plus bref. J'avais 16 ans, peut-être un peu moins. Et je cherchais désespérément à gagner un peu d'argent pendant les week-ends.

J'avais fait le tour complet de ma ville, Trois-Rivières, et ratissé tous les magasins de la rue des Forges avec mon curriculum vitae, qui tenait en un paragraphe. Expérience de travail: gardienne d'enfants.

J'avais beau assurer que je pouvais apprendre très, très vite, tous mes efforts tombaient à plat. Après une série ininterrompue de refus, je devais avoir l'air pas mal pitoyable. Et je soupçonne un peu que les propriétaires de la boutique de souvenirs qui ont fini par m'offrir mon premier VRAI boulot de l'avoir fait uniquement parce qu'ils ont eu pitié de moi.

C'est donc remplie de mes meilleures intentions que je me suis présentée le lendemain matin dans leur magasin où des vases à fleurs, des coupes de porcelaine et divers bibelots s'alignaient sur les étalages.

Mes patrons m'ont expliqué le fonctionnement de la caisse enregistreuse, montré comment emballer les cadeaux et faire des frisons avec les rubans. Puis, nous avons attendu les clients.

C'était bien là le hic: les clients. Il n'y en avait pour ainsi dire pas. Et quand un acheteur potentiel passait le seuil de la porte, mes deux patrons suffisaient amplement à répondre à ses besoins.

Le temps n'avançait pas. Les aiguilles de ma montre semblaient prises dans la mélasse. Comment allais-je me rendre jusqu'au bout de cette journée?

J'ai commencé par épousseter l'étagère à bibelots, étirant cette tâche afin qu'elle dure le plus longtemps possible. Jamais, depuis, je n'ai nettoyé avec autant de minutie!

J'arrivais justement au bout de la dernière étagère quand un client qui attendait son paquet a écrasé un mégot de cigarette dans le cendrier près de la caisse (oui, oui, à l'époque, il était possible de fumer partout, sans restrictions). Un cendrier sale! Enfin, j'avais quelque chose à faire. Une mission. Je me suis empressée de vider la cendre dans la poubelle, en me félicitant intérieurement de ma diligence et de mon sens de l'initiative.

Quelques minutes plus tard, une fumée épaisse s'éleva du panier à déchets et fonça vers la caisse, répandant une odeur âcre dans le magasin. Oui, c'est ma faute, ai-je dû avouer à mes patrons, qui m'ont payé mes quelques heures de travail en me disant que réflexion faite, je n'aurais pas à revenir le lendemain.

Comment il disait encore, Félix Leclerc? Que la pire manière de tuer un homme, c'est de le payer à ne rien faire? Dans mon cas, outre le fait que j'ai failli périr brûlée, j'ai gardé un souvenir précis de ces longues heures passées à tuer le temps. De ma honte devant ma gaffe. Mais aussi de mon soulagement quand j'ai su que ma torture était terminée.