Une entrevue exclusive avec un leader d'Al-Qaïda qui incite ses «frères musulmans» à acquérir des armes et à apprendre à faire la guerre. Un article sur l'art d'envoyer et de recevoir des messages cryptés. Des photos de débris d'autos détruites dans un attentat. Et des conseils sur la façon de fabriquer une bombe «dans la cuisine de maman».

Ce n'est qu'un aperçu du menu proposé par le magazine Inspire, un tout nouveau périodique web qui se présente comme une publication de l'organisation Al-Qaïda dans la péninsule arabe.

«Puissent nos âmes être sacrifiées pour Toi», annonce la manchette du premier numéro, paru cet été. Le réseau terroriste a manifestement quelques croûtes à manger avant de devenir maître en édition internet. Son magazine est un document statique d'une soixantaine de pages en format PDF, une sorte d'exposé magistral sans le moindre espace interactif.

Mais l'intérêt de cette initiative est ailleurs. C'est la première fois qu'Al-Qaïda lance une publication en anglais, explique l'éditeur. Objectif: recruter des djihadistes dans les communautés musulmanes du monde entier, y compris en Europe et en Amérique du Nord.

Les trois hommes arrêtés cette semaine dans le cadre de l'opération Samosa n'étaient peut-être pas des habitués du site. D'ailleurs, ils n'ont pas encore été jugés et ont donc droit à la présomption d'innocence. Ce qu'on peut dire, en revanche, c'est qu'ils correspondent parfaitement au client-type que cherche à rejoindre Al-Qaïda avec sa nouvelle offensive de recrutement sur l'internet. Des personnes d'origines diverses, en apparence bien intégrées dans leur communauté, citoyens au-dessus de tout soupçon. Qui décident un jour de fabriquer des bombes.

Un peu comme ce jeune analyste financier du Connecticut, né au Pakistan, naturalisé aux États-Unis, qui avait tenté de faire sauter une auto à Times Square. Ou encore ce jeune Américain qui, il y a deux ans à peine, jouait dans l'équipe de football de son école et qui vient de se faire arrêter sous l'accusation d'avoir voulu se joindre au djihad en Somalie.

Dans le cas qui nous intéresse, l'un des suspects travaillait comme technicien en radiologie dans un hôpital d'Ottawa, où il était respecté par ses pairs. Un autre, médecin, s'est déjà amusé à chanter sur le plateau de Canadian Idol.

Étrange parcours pour un apprenti terroriste? Pas nécessairement, répond Magnus Ranstorp, directeur d'un centre de recherche sur le terrorisme au Collège de défense nationale à Stockholm.

Selon lui, plusieurs chemins mènent vers le djihad. «Les nouvelles recrues n'ont pas de profil psychosociologique commun», dit-il. Seuls points en commun: la plupart ont vécu une crise personnelle au cours de laquelle leur comportement s'est brusquement modifié. Et tous ont rencontré, en chemin, ce qu'il appelle un «agent de radicalisation».

Ces rencontres se font d'ailleurs de moins en moins dans les mosquées, trop surveillées, mais plutôt dans quelque groupe d'étude privé ou sur le web. Magnus Ranstorp cite une vaste étude des services secrets britanniques, qui ont scruté le cheminement de dizaines de combattants du djihad. «Chacun a eu un cheminement différent, chaque cas est surprenant.»

S'il est difficile de détecter les nouvelles recrues du djihad faute d'indicateurs fiables, on sait que le phénomène du «terrorisme local» est en croissance en Occident.

En juillet, une cellule terroriste liée à Al-Qaïda a été démantelée en Norvège, par exemple. Et dans une note récente publiée par Wikileaks, la CIA constate que de nombreux citoyens américains s'enrôlent dans des groupes extrémistes à l'étranger. Et s'inquiète devant la possibilité que les États-Unis soient un jour perçus comme un pays exportateur de terrorisme!

Les arrestations de cette semaine nous rappellent cruellement que, neuf ans et deux guerres après les attentats du 11 septembre, Oussama ben Laden court toujours. Et qu'Al-Qaïda reste une organisation bien vivante, avec de nouvelles ramifications au Maroc, en Somalie, au Yémen et une base solide au Pakistan.

Quelques chiffres, pour finir. En 2009, 11 000 attentats terroristes ont frappé la planète, selon un recensement du National Counterterrorism Center des États-Unis. Ces attaques ont fait 15 000 morts et plus de 40 000 blessés, dont près de la moitié en Asie du Sud.

Selon la même étude, les actes terroristes ont augmenté de façon spectaculaire en Afghanistan et au Pakistan. Et une hausse importante d'activités terroristes a été constatée aux États-Unis.

Neuf ans après l'effondrement du World Trade Center, la menace terroriste fait donc partie du paysage. Y compris au Canada.