À la fin de tous ses communiqués, le Conseil électoral haïtien s'engage à organiser «des élections libres, honnêtes, démocratiques et inclusives».

C'est raté, disent de nombreux Haïtiens au lendemain de la publication de la fameuse liste des candidatures présidentielles, qui rejette entre autres celle du chanteur Wyclef Jean.

Le Conseil électoral provisoire (CEP) a rendu une décision «sans équité et sans justice», déplore la journaliste haïtienne Liliane Pierre Paul, qui travaille pour la station de radio Kiskeya, à Port-au-Prince. L'apparition de Wyclef Jean dans le ciel préélectoral haïtien est une «tornade», a-t-elle écrit dans un article récent, où elle pesait les qualités et les défauts de ce candidat aimé des jeunes, rafraîchissant, mais porteur d'un discours populiste et messianique.

Elle n'est pas ce qu'on pourrait décrire comme une inconditionnelle de l'ancien chanteur des Fugees. Pourtant, quand je l'ai jointe hier à Port-au-Prince, elle ne décolérait pas. Avec la liste électorale qu'il a publiée vendredi, «le CEP a confirmé tout le mal qu'on pensait de lui», déplore-t-elle.

Car même s'il pouvait avoir des raisons de rejeter certaines candidatures, y compris celle du chanteur, le Conseil s'est complètement discrédité en acceptant d'autres candidats tout aussi inadmissibles. Et voyez comme le hasard fait bien les choses: contrairement aux candidats de la diaspora, qui ont tous été recalés, les proches du président René Préval ont eu le feu vert! Parmi ces «présidentiables», on compte plusieurs anciens ministres ou bureaucrates qui n'ont aucun problème à prouver qu'ils ont résidé en Haïti depuis cinq ans, comme l'exige la Constitution.

En revanche, certains ont été incapables de remplir une autre exigence constitutionnelle: produire un «certificat de décharge» qui garantit qu'ils ont exercé leurs fonctions publiques avec probité. La commission parlementaire qui distribue ces certificats est inactive parce que les travaux du Parlement sont suspendus. Pas grave, on va se passer de ce document, a décidé le Conseil électoral à la mi-août, ouvrant ainsi la porte aux amis du président.

Liliane Paul Pierre est furieuse: dans un pays où tous les dirigeants sont soupçonnés de corruption, «les plus dangereux sont les candidats qui n'ont pas eu leur décharge, pas ceux qui vivent à l'étranger» !

Selon elle, la page de Wyclef Jean est tournée. Historiquement, aucun candidat rejeté n'est parvenu à faire renverser une décision du Conseil. Mais ce mauvais départ est de mauvais augure. Et l'organisme qui doit assurer la bonne marche des élections du 28 novembre a un sérieux problème de légitimité.

Car s'il a pu faire une entourloupette pour faire «passer» des candidats sans certificat de probité, le Conseil aurait pu prendre la même liberté pour accepter ceux de la diaspora, disent de nombreuses voix critiques. «Ou bien le Conseil est incompétent, ou bien il fait de la magouille politique, ce qui ne laisse rien présager de bon pour les élections», note Jean Ernest Pierre, journaliste à la radio haïtienne montréalaise CPAM.

Lui aussi voyait du pour et du contre dans la candidature de Wyclef Jean. Mais ce qui le choque, c'est que son rejet ne répond pas tant aux exigences de la loi qu'à une volonté politique: celle d'écarter un candidat menaçant et, du même coup, tous les candidats venus de l'extérieur.

Parce qu'il est connu et coloré, Wyclef Jean a monopolisé l'attention des médias au cours de ce suspense préélectoral. Mais ce qui s'est passé la semaine dernière dépasse de loin une simple question de personnalité. Avec ses décisions à géométrie variable, le Conseil électoral a tué dans l'oeuf un début de fièvre électorale et conforté dans leur opinion ceux qui pensent que, sur la scène politique haïtienne, les dés sont pipés.

Au mieux, ces élections risquent donc de se dérouler dans l'indifférence générale. Au pire, on fonce vers une grosse crise politique. Comme si Haïti avait besoin de ça.