Tous les jours qu'Allah fait, Mohsen Sazegara se présente devant un tableau vert, branche sa caméra et parle en farsi pendant 10 minutes. Puis il met sa vidéo en ligne. Le sujet de ses conférences: la résistance pacifique contre le régime au pouvoir dans son pays natal, l'Iran.

Mohsen Sazegara est convaincu que ce régime, maintenu à bout de bras par une caste de gardes révolutionnaires qui se sont accaparé les richesses du pays, est condamné à disparaître. Et il veut apporter sa contribution pour précipiter la chute du régime.

Pourtant, il a lui-même contribué à bâtir cette République islamique qu'il combat aujourd'hui. Il a fait partie de la jeune garde du père de la révolution iranienne, l'ayatollah Khomeiny, lorsque celui-ci vivait en exil, en France. Et le 1er février 1979, quand ce dernier a quitté Paris pour Téhéran, Mohsen Sazegara se trouvait à ses côtés, à bord du même avion.

Même s'il n'avait alors que 24 ans, Mohsen Sazegara a joué un rôle de premier plan dans la jeune République islamique. Sa toute première tâche: mettre sur pied un régiment de gardes révolutionnaires. Ceux-là mêmes qui sont aujourd'hui les vrais maîtres de Téhéran.

À quoi devaient donc servir ces gardes? «Nous craignions une attaque étrangère, et nous avions peur d'un coup d'État», m'a-t-il expliqué quand je l'ai joint dans la région de Washington, où il vit aujourd'hui.

Mohsen Sazegara occupe d'autres postes bien en vue dans la jeune république de l'ayatollah Khomeiny. À un moment, on le trouve à la tête de la radio d'État. Puis, il dirige l'institut national des investissements.

Mais avec le temps, il devient de plus en plus perméable au doute. «Je voyais bien que ce système ne fonctionnait pas, ni politiquement ni sur le plan économique.»

En 2001, il veut se présenter à la présidence du pays, mais sa candidature est écartée par le club sélect qui trace les limites de la démocratie iranienne. Les séjours en prison intermittents finiront par le pousser définitivement vers l'exil.

Mohsen Sazegara s'exprime lentement, choisit ses mots avec soin. Sur YouTube, en polo et lunettes à monture fine, il a l'air d'un professeur devant un groupe de collégiens.

Et c'est un peu la mission qu'il se donne: enseigner les grands principes de la résistance pacifique. Un processus qui exige quatre étapes, énumère Mohsen Sazegara. D'abord, faire perdre sa légitimité au pouvoir en place. Puis, miser sur les fissures qui apparaissent au sein du régime. Bâtir les réseaux de solidarité chez les opposants. Jusqu'au fameux jour J.

En Iran, le pouvoir n'a plus beaucoup de légitimité. Mais il se braque en déployant un appareil répressif tout-puissant. Comment y résister? Avec des moyens moins risqués que les grands rassemblements publics, propose Mohsen Sazegara. Exemple: cesser de payer ses comptes à l'État. Ou se rendre au bureau, mais ne pas travailler. «Progressivement, nous élargirons notre palette de moyens», dit-il.

Le problème de Mohsen Sazegara réside dans l'emploi de ce pronom possessif: «notre». Car s'il est largement suivi sur l'internet, cet exilé n'a pas de véritable alliance avec les dirigeants du mouvement vert en Iran. Et ceux-ci hésitent à s'associer ouvertement à lui.

Mohsen Sazegara n'en est pas moins convaincu de l'importance de son rôle dans cette étrange période de l'histoire qui aboutira forcément, croit-il, à des changements radicaux en Iran.

Car le régime actuel souffre de deux grands maux, selon lui: l'ignorance et la corruption. Incapable de partager tant soit peu la manne pétrolière, il ne peut offrir à son peuple un contrat à la chinoise: laissez-nous notre pouvoir, et nous vous donnerons un espace de liberté économique pour améliorer votre sort.

Les Iraniens sont en rupture de ban avec un gouvernement qui «rejette la modernité», dit encore Mohsen Sazegara. Et celui-ci est convaincu que ses compatriotes n'attendent que le bon moment pour reprendre le contrôle de leur histoire. Reste la grande question: quand?