L'avocat torontois Robert Amsterdam travaille pour quelques clients richissimes, tombés en disgrâce auprès de leur gouvernement. Parmi eux, l'oligarque russe Mikhail Khodorkovski, qui croupit dans une prison sibérienne depuis six ans. Mais aussi Thaksin Shinawatra, ex-premier ministre de la Thaïlande, exilé depuis qu'il a été chassé du pouvoir par un coup d'État, il y a quatre ans.

Ces temps-ci, Robert Amsterdam multiplie les entrevues aux médias, pour assurer que son client thaï n'a rien à voir avec le mouvement des chemises rouges qui vient d'être brutalement écrasé à Bangkok.

 

«Il ne parraine pas ce mouvement, même si certains de ses militants l'admirent», a-t-il réitéré quand je l'ai joint à Hong-Kong, hier. Puis: «Ces gens défendent leurs droits démocratiques, ça dépasse Thaksin Shinawatra, il ne pourrait pas être leur leader.»

Mais en même temps, Robert Amsterdam reconnaît que l'ancien premier ministre conseille parfois les protestataires. Il s'est d'ailleurs lui-même rendu à Bangkok la semaine dernière, à la demande de son client, pour rencontrer les leaders des chemises rouges.

«Tout ce que je peux dire, c'est que Thaksin Shinawatra conseille les leaders des chemises rouges sur demande», a-t-il résumé, éludant d'autres questions.

Milliardaire, Thaksin Shinawatra ne s'embarrasse pas trop de scrupules éthiques. Quand il a vendu son entreprise Shin Corp, il y a quelques années, il n'a pas payé un sou d'impôt. Accusé d'évasion fiscale, il a aussi été jugé coupable de conflit d'intérêts et condamné, par contumace, à deux ans de prison.

Mais pendant ses cinq années de pouvoir, Thaksin Shinawatra a aussi été un dirigeant très populaire grâce aux réformes qu'il a fait adopter en faveur des pauvres et des paysans, parmi lesquels les chemises rouges trouvent leurs appuis.

Le gouvernement thaï accuse les protestataires d'être manipulés, de loin, par Thaksin Shinawatra, qui ne chercherait qu'à revenir au pouvoir. Robert Amsterdam se montre très prudent sur ce sujet et refuse de conjecturer sur les ambitions politiques réelles de son client.

Mais même si c'était vrai. Même si Thaksin Shinawatra avait joué un rôle plus déterminant dans les manifestations que ce qu'il veut bien admettre. La réalité, c'est qu'à tort ou à raison, il jouit toujours d'une grande popularité dans son pays. Et que beaucoup de Thaïlandais, et parmi les plus vulnérables, se souviennent de lui comme d'un dirigeant soucieux d'améliorer leurs conditions de vie, qui a été évincé du pouvoir après avoir remporté des élections. Peut-on vraiment le blâmer de vouloir se mêler de la politique thaïlandaise, à partir de son exil?

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L'ombre d'un autre absent plane sur les événements tragiques des derniers jours. Et c'est celle du roi Bhumibol. Quand une autre crise violente avait fait couler le sang à Bangkok, en 1992, le vieux monarque avait fait s'agenouiller, en public, les leaders des insurgés et ceux de l'armée, dans un geste de réconciliation symbolique. Il avait réussi à apaiser la crise.

Cette fois, pas de roi. Âgé de 82 ans, le souverain qui règne sur la Thaïlande depuis plus de 60 ans est très malade. Il est hospitalisé depuis septembre et les autorités sont très avares d'informations sur son état de santé.

Cette absence est inquiétante, d'autant plus que la crise actuelle porte, entre autres, sur l'avenir de la monarchie. Les «rouges» sont perçus comme hostiles à la royauté. Leurs opposants s'habillent de jaune, la couleur de la monarchie.

L'héritier du trône, le fils du roi Bhumibol, n'a ni la stature ni l'autorité du vieux souverain. Personne ne l'imagine jouer le grand conciliateur, comme son père l'a fait dans le passé.

Tandis que Bangkok brûle, ce vide politique ajoute au caractère volatil de la crise. Et augmente le risque de guerre civile.