L'autre jour, pour être fin avec Françoise, ma libraire, j'ai acheté le dernier Michel Tremblay. Je ne suis pas toujours fin avec ma libraire, je ne suis pas toujours fin avec personne, d'ailleurs. C'est comme ça. De toute façon, je ne savais pas quoi acheter, depuis le Franzen (Liberté), j'ai le goût de rien. On dirait que ce con m'a coupé l'envie de lire, pas que ce soit si mauvais, mais je l'attendais depuis si longtemps, comme un amour lointain, tu t'échauffes, tu t'échauffes, et puis ton amour arrive, elle louche et elle dit des niaiseries.

Je ne savais pas quoi acheter, pourquoi pas le dernier Tremblay, cela ferait plaisir à Françoise. Ces deux-là sont amis, Françoise le visite tous les ans sur ses terres floridiennes, moi aussi, je l'aime bien même si je l'ai peu pratiqué, La grosse femme d'à côté, Le coeur découvert, Douze coups de théâtre, Un ange cornu, c'est à peu près tout, pas beaucoup...

Je l'ai croisé deux ou trois fois, l'une de celles-là à l'occasion d'une série sur les gais dans les années 80, dieu sait que je débarquais sur leur planète avec mes gros sabots, ils auraient pu se foutre de ma gueule, ils ont été, au contraire, très pédagogiques, on va tout t'expliquer, mon chéri... peut-être pas mon meilleur reportage, mais un de ceux que j'ai eu le plus de plaisir à faire - bonjour François, bonjour Claude. Michel Tremblay aussi m'avait donné, sur le sujet, une entrevue généreuse et pointuse comme il en donne toujours.

Reste que je l'ai peu lu. Quand il me venait d'acheter son dernier roman, je reculais toujours devant le risque de prendre le feuilleton en marche, la crainte d'être tout mêlé dans les personnages, Albertine, c'tu la fille de Josaphat ou de Télesphore?

Bêtises.

J'ai lu celui-là sans rien me demander, comme si c'était le premier livre de Tremblay.

On entre en douceur dans La grande mêlée - c'est le titre -, mené par des muses lancées à la recherche de Josaphat (qu'elles vont retrouver dans un grand magasin de la rue Mont-Royal). Cela peut bien s'appeler La grande mêlée, cela n'est pas mêlant une seconde, celle qu'on va marier, c'est Nana, l'aînée des Rathier, le promis, c'est Gabriel, le fils que Victoire a eu avec son frère Josaphat justement. Comme souvent chez Tremblay, les femmes prennent toute la place (les hommes sont un peu pâles), Nana, donc, mais aussi ses soeurs Béa et Alice, Maria-mère-courage, Victoire la mal nommée et sa fille Albertine-la-pas-fine, TiLou la guidoune au grand coeur, les tatas Tititte et Teena (on pense aux Dupont dans Tintin), et celle de Winnipeg, et celle de Regina, et ceux de Duhamel, près du lac Simon.

Tout cela ne serait rien sans la musique, celle de la langue de Tremblay. Maria s'interrogeant sur le départ de Nana: «Que c'est qu'on va faire quand a'sera pus là?» Pouvez appeler ça du joual si vous voulez, mais si vous voulez mon avis, c'est plus près d'une langue qui s'invente une harmonie que d'une langue qui s'avachit, souvent plus près du jazz que de la littérature, un ravissement de parlure, il y a le joual de la rue en voie de disparition, on ne le pleurera pas, et il y a le joual que Tremblay s'est approprié, qu'il a fait sien, une job d'écrivain. Un enchantement.

Vous lisez beaucoup et, comme moi, en ce moment, vous êtes un peu barbouillés de littérature littéraire? Pourquoi pas aller à la noce? Nana, la mariée, est adorable, une soie. Gabriel, son promis, est typographe ou presque, les typographes sont les gens les plus intéressants du monde, je vous jure, j'en connais un en particulier, il est formidable. On est à Montréal en 1922, il y a encore des vergers rue Laurier, les plus pauvres se chauffent au charbon, à la fin, les mariés partiront pour Québec où ils iront souper au café Buade avant d'aller passer leur nuit de noce au Château Frontenac.

Vous lisez beaucoup? Lisez moins pour un instant, allez faire la noce.

TABLE DE NUIT - Je disais à l'instant: un peu barbouillé de littérature littéraire, j'aurais pu ajouter: et poétique. Pour le fun, je viens de relever les titres de la pile de livres sur ma table de nuit (les quatre premiers cités, véritablement «de chevet» - lus et relus -, sont dans la pile depuis au moins deux ans...). L'aleph (Borges); La steppe (Tchekhov); Le réfectoire un soir et une piscine sous la pluie (Yoko Ogawa chez Babel); À la hauteur de Grand Central Station je me suis assise et j'ai pleuré (Elizabeth Smart aux Herbes rouges); Le grand dictionnaire égoïste de la littérature française (Charles Dantzig); Les lettres que Pierre Falardeau a adressées sur une période de 40 ans à son ami le peintre hollandais Léon Spienrenburg (aux éditions Lux); C'est la culture qu'on assassine (Pierre Jourde); Du mercure sous la langue (Sylvain Trudel, aux Allusifs); Retour dans la neige (Robert Walser); Cuba (Les guides de l'état du monde); Cent critiques de livres parues en cent ans dans la NRF (Folio); Manuel de poétique à l'intention des jeunes filles (Carole David aux Herbes rouges); Le temps vieillit vite (Antonio Tabucchi).

Parmi ces livres, il s'en trouve que j'ai d'abord détestés (celui de la Japonaise, notamment) avant de me laisser séduire complètement, je veux dire que ce n'est pas du tout une liste pour vos cadeaux de Nouel.

Tremblay, Nouel. Ogawa, pas Nouel.

Et vous, sur votre table de nuit? Vous, Michel Tremblay, sur votre table de nuit? Toi, Françoise?