Son épouse Lucille venait de mourir et le Rocket n'en menait pas large.

Sa conjointe Sonia veillait sur lui comme une mère veille sur son bébé.

Maurice Richard sentait la santé le quitter, lui qu'aucun adversaire ni aucune maladie n'avait à ce jour réussi à mater. Il disait ne ressentir aucune force dans ses jambes. Il disait aussi que les médicaments qu'on lui prescrivait l'affaiblissaient au point de ne plus pouvoir profiter de la vie comme par le passé.

Fin septembre, au cours d'une matinée éclatante, le Rocket me reçoit gentiment chez lui, rue Péloquin, à Ahuntsic.

Candidement, il se plaint de ne plus se sentir aussi vigoureux que par le passé. Sonia sourit. Elle prend le Rocket par le cou et lui avoue, candidement aussi, que sa présence seule la comble de joie.

On s'était ensuite retrouvés dans la cour arrière. Il m'avait demandé de lui expliquer la raison pour laquelle le vent qui fouettait sous nos yeux les eaux de la Rivière-des-Prairies soufflait immanquablement toujours de l'ouest. Puis, parmi photos légendaires et multiples trophées, on était passés au salon. Le Rocket s'était alors confié avec la franchise qui l'a toujours caractérisé.

À la fin de l'entrevue, je lui avais demandé, lui le plus grand, s'il ressentait des regrets.

«Des regrets, j'en ai. Celui par exemple de n'avoir pas été assez sévère avec mes enfants.»

Je me rappelle qu'à l'époque ça m'avait un peu chamboulé...

Avec le recul, au fond, ce que le Rocket voulait dire, c'est que pour tenter de combler ses nombreuses absences, il s'était montré trop permissif. Trop bon. Trop mou. Et que, ce faisant, il les avait fort mal aimé et quelque peu mal accompagné.

* * *

«Gagner, c'était maladif pour moi. La famille, les enfants, passaient deuxièmes. (...) Je n'ai pas été le père idéal. J'ai été un père absent. (...) Les enfants à l'école, je n'ai pas connu ça. On vit dans le glamour. On joue au gars important. On devient égoïste.»

-Michel Bergeron, dans À coeur ouvert, la réédition de l'autobiographie d'un homme de coeur pour qui la victoire n'a pas de prix, publiée chez Québec/Amérique. Un succès de librairie signé Mathias Brunet avec plus de 20 000 exemplaires vendus.

«Dans la première édition du livre, publiée il y a huit ans, je n'avais pas réussi à faire dire à Bergeron à quel point la vie de fou qu'il a menée à titre d'entraîneur-chef dans la Ligue nationale lui a coûté cher. Voilà qui est maintenant fait. J'ai ajouté un chapitre au livre, le premier. C'est le plus important. Je peux maintenant dire que la boucle est bouclée.»

À CKAC cette semaine, Michel Bergeron a avoué que si c'était à refaire, la famille serait d'abord et avant tout sa priorité. Et que sa glorieuse carrière lui avait fait perdre la raison. Qu'elle lui avait fait oublier que dans la vie, aussi passionnant puisse être le travail et la carrière que l'on mène, la famille devrait en tout temps demeurer la priorité de l'homme équilibré.

La question à mille sous maintenant: Comment gérer succès, gloire et renommée?

Fort curieusement, à cet égard, à l'école, aucun enseignement n'est prodigué. Personne pour nous enseigner à aimer, à faire face à l'échec, à bien se comporter quand, par exemple, tout roule sur des roulettes et que dans la renommée l'argent entre par pochetée.

Personne pour nous rappeler que peu importe le métier exercé on ne voit rien passer quand on vit à cent milles à l'heure...

Michel Bergeron, lui, à coeur ouvert, a choisi d'en parler.

Et voilà maintenant que l'étonnant bonhomme se déguise en conférencier. À travers la province, il part vanter les mérites de la famille, la seule et vraie valeur qui vaille la peine d'investir tout ce que l'on a dans le ventre.

Faut apprendre à aimer Michel Bergeron. Que je salue d'ailleurs bien bas.