Si ça continue, il va falloir installer une porte tournante dans le coin d'Hermann Ngoudjo lors de son combat de championnat du monde des super-légers de l'IBF, demain. Howard Grant, Yvon Michel et maintenant Russ Anber: depuis deux jours, la «Panthère noire» ne cesse de changer d'homme de coin. Ça frise le ridicule.

Hier matin, GYM annonçait aux médias que Ngoudjo avait appelé en renfort Yvon Michel, l'âme dirigeante de l'organisation, afin qu'il remplace Grant, suspendu jusqu'à la fin mars pour avoir bousculé l'arbitre lors du combat entre Librado Andrade et Lucian Bute, l'automne dernier.

Ngoudjo et Grant semblaient enchantés. Certes, l'ancien entraîneur-chef de l'équipe nationale n'a pas travaillé dans le coin d'un boxeur depuis 2004, mais il possède une longue feuille de route comme homme de coin et entraîneur chez les professionnels, auprès notamment de Stéphane Ouellet, Éric Lucas et Leonard Dorin.

Puis, coup de théâtre! En fin d'après-midi, on apprend que la Régie des alcools, des courses et des jeux s'objecte à la présence de Michel dans le coin de Ngoudjo lors du combat qui l'opposera au Colombien Juan Urango. Motif: pour éviter les conflits d'intérêts, la réglementation québécoise interdit d'être à la fois homme de coin et organisateur d'un gala de boxe. GYM est le copromoteur de la soirée.

«Du temps où j'étais chez InterBox (dont il a été directeur général entre 1997 et 2004), je n'ai jamais eu de problème à travailler dans le coin d'un boxeur. Je n'aurais jamais imaginé que ce serait un problème. Mais la réglementation sur les sports de combat a été modifiée en 2004», m'a dit Yvon Michel lors d'un entretien téléphonique.

Après une réunion d'urgence, les dirigeants de GYM ont annoncé en début de soirée que ce serait finalement l'entraîneur et analyste bien connu Russ Anber qui appuierait Otis Grant et Bob Miller dans le coin de Ngoudjo.

Figure respectée dans le milieu, le président de Boxe Québec était dans le coin de Jean Pascal dans sa tentative malheureuse de remporter le championnat des super-moyens du WBC, contre Carl Froch, le mois dernier. «Je connais très bien Russ, a dit Ngoudjo. Je me suis entraîné durant les deux derniers mois avec l'un de ses boxeurs, David Lemieux, et Russ était très souvent avec nous. Nous n'aurions pas pu trouver mieux dans les circonstances.»

Anber est un excellent choix, pas de doute là-dessus. Mais tout cet épisode aurait pu et aurait dû être mieux géré. Il n'est pas normal qu'un boxeur soit soumis à autant d'incertitude à quelques jours à peine du combat le plus important de sa carrière.

J'hésite à accabler les gens de GYM, qui ont agi de bonne foi. La moindre des choses aurait toutefois été de faire les vérifications nécessaires auprès de la Régie avant d'annoncer publiquement qu'Yvon Michel remplacerait Howard Grant. GYM se serait épargné bien des soucis et, surtout, aurait évité d'avoir l'air d'une organisation de broche-à-foin dans l'oeil du public.

Évidemment, rien de tout ça ne se serait produit si le règlement sur les permis relatifs aux sports de combat laissait un peu plus de marge de manoeuvre à ceux qui sont chargés de l'appliquer. Le remplacement de Grant par Michel - rendu nécessaire, répétons-le, par la suspension imposée par la Régie - était de toute évidence un cas de force majeure et non une tentative du promoteur d'exploiter un boxeur. Surtout qu'Yvon Michel avait déclaré publiquement qu'il ne toucherait pas la part de la bourse réservée aux hommes de coin.

«Je suis pris pour faire appliquer le règlement, même si parfois je trouve que des améliorations pourraient être apportées. La cause est fort sympathique, mais je dois travailler avec le cadre légal», m'a dit le responsable des sports de combat de la Régie, Richard Renaud.

Souhaitons que les avocats de la Régie trouvent maintenant assez de flexibilité dans ledit cadre légal pour permettre à Howard Grant d'accompagner Ngoudjo dans le vestiaire dans les heures précédant son combat. Mardi, M. Renaud avait écarté cette possibilité, affirmant à La Presse que Grant serait «un spectateur, pas plus, pas moins».

Hier soir, le ton s'était un peu adouci. «Une vérification poussée» était en cours pour voir «jusqu'où la Régie peut aller», a dit M. Renaud.

Ce n'est pourtant pas compliqué. Quand la Ligue nationale de hockey suspend un entraîneur, il n'a pas le droit d'être derrière le banc. Mais rien ne l'empêche d'aller faire un tour dans le vestiaire avant la partie. Le même raisonnement devrait s'appliquer ici.

Que ce soit clair: la suspension de Grant est méritée. On ne touche pas impunément à un arbitre. Mais il ne faudrait quand même pas pousser le bouchon trop loin, surtout que la Régie se trouve dans les faits à pénaliser un boxeur, Ngoudjo, qui n'a absolument rien à se reprocher.

Certains médias ont accès au vestiaire, des célébrités vont s'y faire photographier avec la vedette de la soirée, mais l'entraîneur ne pourrait pas s'y pointer le nez? De grâce. Entre la juste punition et l'acharnement gratuit, la ligne est parfois mince. Il serait bon de ne pas la franchir.