Qu'est-ce que le partage? Notion presque élusive de nos jours, idée qui n'existe trop souvent que dans nos souvenirs ou dans les histoires que nous racontent les plus vieux. Il fut une époque, nous disent-ils, où le partage était monnaie courante, où la vie se composait autant de dons que de réceptions. «Vous ne savez plus donner», nous sermonnent avec trop de justesse nos aînés. Mais savons-nous encore recevoir?

L'idée est vieille de plus de mille ans: il est plus facile d'offrir que d'accepter. Aujourd'hui, qui accepte à la légère les promesses d'amour de l'autre? Pourtant, on le dit facilement - trop facilement, à moins qu'on sache qu'un retour nous attend au détour. On fait alors face au pacte difficile et troublant du partage. Je t'aime, tu m'aimes: nous partageons déjà quelque chose. Quant au reste, à ce reste à la fois immense et minuscule qui occupe les marges de l'amour réciproque, qu'en faisons-nous? Qui perd, qui gagne? Quel est celui qui donne trop, qui est celui qui ne sait pas recevoir? Alors commence le ballet délicat et immortel de l'échange et du partage.

 

Alors renaît de temps en temps une vague jalousie envers nos mignons amis individualistes que sont les animaux. C'est le moment des compromis presque impossibles, celui des éblouissements désintéressés de l'ouverture à l'autre.

Qui, le premier (ou la première - on ne voudrait pas sombrer lâchement dans le cliché, mais on soupçonne la femme d'avoir l'instinct de partage plus spontané que l'homme. À part, bien sûr, quand il s'agit de monogamie. Mais c'est une autre histoire.). Quel australopithèque oublié, donc, a été la première à tendre la moitié de son fruit à quelqu'un qui n'était pas son descendant direct? Et qui a dit le premier je t'aime? Le premier «je veux partager ma vie avec toi?» Moment historique s'il en est un, dissout et perdu à tout jamais parmi les autres, plus clinquants, moins intimes. Mais j'aime à l'imaginer, parce que c'est futile et inutile, et un peu charmant.

Mon amie Justine croit qu'on peut trop partager. Elle a vécu (survécu à, dit-elle) une relation fusionnelle. Elle et William formaient ce genre de couple à la limite angoissant qui sépare tout, qui partage chaque pensée, chaque passion, chaque inquiétude. Chaque joie et chaque problème. Nous nous moquions d'eux tout en les enviant secrètement et j'ai longtemps cru qu'ils avaient gagné les Olympiques de l'amour, qu'ils avaient réussi ce à quoi chaque couple aspire: la béatitude qui ne se mérite que dans l'ouverture complète à l'autre, que dans le partage absolu.

Grave erreur, dit aujourd'hui Justine, qui vit depuis deux ans avec Nicolas avec lequel elle partage mille choses. Ce n'est pas tant que ça, mille choses. Justine, comme tout le monde, est plus complexe que cela. Et elle croit que l'amour véritable se garde des secrets, pas de ceux qui font mal, mais des secrets, qui selon elle rendent plus fort, plus riche.

Un vrai geste

La plupart des gens se scandalisent quand elle dit cela. Le secret a mauvais presse, même si tout le monde le pratique, et le partage est tellement bien vu, même si ceux qui sont capable de l'embrasser se font rares.

Peut-on donc vraiment trop partager? Rend-on service à l'autre en en gardant un peu pour soi? Autant de réponses que d'amours, je suppose. Mais je sais une chose: que le fait d'aimer vraiment, d'aimer bien, est peut-être le seul vrai geste de partage, et que c'est sans doute pourquoi il est comme lui si exigeant et si gratifiant.

POST-SCRIPTUM

Plage du nord

Sur une plage du nord, un soir d'été: une jeune fille d'environ 13 ans marche avec son petit frère, qui est en maillot de bain et qui grelotte. Elle commence à lui frotter les épaules puis, comme le petit frisonne toujours, elle s'arrête, enlève son pantalon de jogging pour en couvrir les épaules de son frère.

Pop-psychologie

La pop-psychologie me fait généralement rire, quand elle ne me déprime pas profondément. J'ai entendu récemment une jeune femme dire: «Il faut pas juste que tu saches t'ouvrir à ton chum, faut que tu saches t'ouvrir à toi-même.» C'était il y a 10 jours et une angoisse me titille depuis: peut-être que c'est pas si niaiseux que ça, comme affirmation.

L'intimité

Je connais quelqu'un qui ne dit jamais partager, mais plutôt «être intime». Qui ne parle pas d'ouverture à l'autre, mais d'«intimité». Ça m'a toujours un peu énervée. Parce que je me doute qu'il a raison et que je sais que le chemin qui mène à l'intimité vraie est aussi terrifiant qu'il est lumineux.