À la fin de cet été, le vent a soufflé comme il l'a toujours fait aux Îles-de-la-Madeleine. Il a déplacé une partie du sable de ces dunes qui, vibrionnant à tout vent, s'accroche au souffle de la mer. Cet été, quand le vent a sculpté une partie de la plage de Pointe-aux-Loups, il a aussi révélé les vestiges d'un passé que l'on tente en vain d'oublier: 758 sacs de résidus de pétrole contaminé ont refait surface, une tragédie qui continue de hanter les Madelinots depuis plus de 38 ans.

Ce pétrole provient du naufrage de la barge Irving Whale qui, en septembre 1970, a déversé des tonnes de mazout lourd dans le golfe du Saint-Laurent, créant une marée noire de plus de 400 km2. On estime qu'environ 125 tonnes de ce pétrole se sont retrouvées aux Îles, souillant plus de 35km de plage de sable blond. Après trois mois de travaux pour ensacher les résidus pétroliers, les autorités ont décidé d'enfouir les sacs dans les dunes avant l'arrivée de l'hiver. On estime que de 150 000 à 250 000 sacs ont alors été enfouis.

 

Il aura fallu attendre 25 ans, en 1995, juste avant la première tentative de renflouage de la barge, pour que la compagnie Irving déclare la présence de BPC à bord de son navire coulé par 60 mètres de fond. Les biphényles polychlorés, des composés chimiques extrêmement stables dans l'environnement, sont cancérigènes et constituent un risque réel pour la santé publique s'ils sont incorporés à la chaîne alimentaire. Des tests effectués sur les résidus pétroliers dissimulés dans les dunes des îles ont confirmé la présence de BPC.

Ainsi, depuis près de quatre décennies, des sacs abîmés par la force des éléments refont surface sur une base régulière. On s'empresse alors d'organiser une nouvelle corvée pour tout nettoyer, pour régler «définitivement» le problème. C'est ce que l'on entend aux Îles, chaque fois que le passé noir ressurgit. Or, personne ne semble connaître l'emplacement et le nombre exact des sacs qu'il reste encore à déterrer.

Aussi, quand on essaie de leur faire gober que la future exploitation des ressources gazières et pétrolifères du Saint-Laurent se fera sur la base du développement durable - nouveau fourre-tout politique -, ils demeurent sceptiques et ils organisent aussitôt la contre-attaque. On peut toujours prétendre que le sous-sol du Saint-Laurent contient 20 milliards de dollars en redevances, il en faudra plus pour convaincre les Madelinots, et probablement une majorité de Québécois. Cet enjeu électoral provincial en devenir risque de soulever une nouvelle tempête politique. Et ce vent de protestation pourrait bien venir d'une petite communauté qui en a vu d'autres, et qui est prête à tout pour préserver sa qualité de vie et son gagne-pain: «Il y a trop à risquer pour le simple miroitement de quelques jobs très lucratifs qui vont enrichir une petite poignée de gens comme d'habitude...» disait Roberto Chevarie, un citoyen opposé à l'exploration gazière dans ce secteur. Et de citer une formule de son vieux père: «J'aime mieux manger un morceau de pain debout qu'un steak à genoux.» À n'en pas douter, le pétrole n'a pas fini de laisser ses traces...

LA SCIENCE EN BREF

Les BPC de l'Irving Whale

La barge Irving Whale a finalement été remontée en surface en 1996, 26 ans après son naufrage, mais une partie importante de sa cargaison de BPC s'est répandue dans la nature. En plus des importantes quantités de pétrole déversé dans l'environnement, on a estimé que la barge renfermait 6800 litres de BPC, ce qui en fait l'un des plus importants déversements de BPC de toute l'histoire canadienne. De ce nombre, 1593 kilos de BPC ont été «sauvés des eaux» par différents procédés, environ 373 kilos ont été récupérés directement sur les lieux du naufrage et sur les plages des Îles-de-la-Madeleine, mais 5554 kilos se sont répandus dans la nature. À cette époque, on a vivement reproché à Irving d'avoir dissimulé la présence de BPC pendant près de 25 ans.

Ours des villes

Une étude américaine vient d'établir des différences considérables entre les ours bruns qui vivent à proximité des villes et ceux qui vivent isolés en forêt. Les auteurs ont pu démontrer que les ours dits «urbains», qui trouvent une bonne partie de leur nourriture dans les déchets de nos villes, sont généralement 30% plus gros que leurs confrères des forêts. Sans doute en raison de cette croissance accélérée, les ours des villes se reproduisent beaucoup plus jeunes: en moyenne, un ours brun se reproduit vers l'âge de sept ou huit ans, mais les «urbains» se reproduisent plutôt vers l'âge de quatre à cinq ans, et certains spécimens de l'étude se sont même reproduits à deux et trois ans d'âge! Mais les ours de ville, et surtout leur progéniture, voient leur longévité réduite de façon importante. Dans cette étude, les ours urbains n'ont pas survécu au-delà de 10 ans, victimes de collisions avec des véhicules, alors que 60% des ours des forêts continuent de courir en toute quiétude. Un fort prix pour accéder à nos restes de table...

Les fluocompactes

Faut-il remplacer nos ampoules traditionnelles par de nouvelles ampoules flucompactes? Si l'on se fie à la réduction importante d'énergie, la réponse est oui dans la plupart des cas. Mais une nouvelle étude scientifique de l'Université Yale révèle que certains pays pourraient voir leurs émissions de mercure plutôt augmenter au final. L'étude, qui a examiné la situation de 130 pays, conclut que les politiques de remplacement doivent tenir compte d'un ensemble de facteurs complexes, dont les sources d'alimentation énergétique locales et le potentiel de récupération des ampoules fluocompactes. «Les enjeux du développement durable s'appliquent souvent localement», rappellent les scientifiques. Ici, les programmes d'Hydro-Québec seront réévalués en fonction du cycle de vie complet du produit pour bien comparer les avantages et les inconvénients de l'ampoule flucompacte.

L'auteur est biologiste, photographe et cinéaste. Il a été chef de trois missions à bord du voilier Sedna IV, dont la plus récente en Antarctique. Il signe chaque semaine une chronique dans nos pages.