Longtemps, en fait depuis l'origine du sport, les athlètes et les arbitres se rejoignaient dans leurs imperfections.

Les athlètes étaient des humains. Ils buvaient joyeusement de la bière, ils mangeaient des hot dogs en attendant leur tour au bâton et souvent, comme c'était le cas pour Guy Lafleur, Mike Bossy ou Serge Savard, ils grillaient une cigarette ou un cigare dans le vestiaire entre deux périodes de hockey.

Quant aux arbitres, ils étaient tout aussi imparfaits. Ils se trompaient, ils commettaient des erreurs, les joueurs et les coachs hurlaient de rage et pleuraient de désespoir mais à la fin, quand tout le monde s'était vidé le coeur, tout était balayé par une constatation : «L'erreur est humaine et les arbitres sont humains. Donc, les arbitres commettent des erreurs. Faut vivre avec et à la fin, ça va s'égaliser».

Certains plus croyants ajoutaient même : «Le dernier gars parfait est mort crucifié entre deux voleurs».

J'ai connu cette période. Les Glorieux gagnaient leurs matchs, parfois, ils subissaient de mauvaises décisions, ils se lamentaient mais en bout de ligne, ils acceptaient. Le jeu se passait vite et l'arbitre ne pouvait tout voir. Sauf à Québec où l'arbitre voyait toujours ce que les Nordiques faisaient de mal. Ça devait être la couleur du chandail.

C'est la télévision qui a tout changé. Les gens dans leur salon pouvaient voir au ralenti, dix fois de suite, que l'arbitre s'était trompé.

Tant que ça restait dans les salons, c'était pas trop grave. Mais quand les écrans géants ont commencé à pulluler dans les patinoires de la Ligue nationale et que les 18000 partisans entassés et surchauffés ont pu constater, en même temps que les coachs et les joueurs des deux équipes, que l'arbitre s'était trompé, il a fallu créer le tribunal d'appel suprême. La reprise vidéo et le droit des officiels hors glace de changer la décision de l'arbitre.

L'arbitre a cessé alors d'être simplement et bêtement humain. Il n'a plus le droit de se tromper. Et c'est souvent un groupe d'anciens réunis dans un local à Toronto qui prend les décisions pour un match disputé à 2000 kilomètres de là.

Le sport avait vécu des siècles avec les erreurs des arbitres, il fallait maintenant se plier aux diktats de la télévision toute puissante. Et il faut bien le reconnaître, c'était correct. On n'arrête pas le «progrès».

Mais télévision ou pas, on ne peut empêcher toutes les injustices. Par exemple, l'erreur commise par l'arbitre Ed Hochuli lors du match entre les Chargers de San Diego et les Broncos de Denver. Vous avez sans doute vu et revu le jeu 10 fois à la télé. Hochuli a signalé qu'on avait une passe incomplète sur le jeu. Effectivement, le quart arrière complétait un mouvement du bras vers l'avant et dans ce temps là, si le mouvement est enclenché, on dit que c'est une passe incomplète. Mais comme le ballon a été échappé avant que le bras du quart n'entame le mouvement de demi-rotation, les spécialistes ont soutenu que le jeu était un échappé. Mais comme le sifflet avait été entendu pour arrêter le jeu, le mieux qu'on a pu faire pour corriger l'erreur a été de reprendre le jeu à zéro. Dans le fond, ça ne changeait rien pour les Chargers. Sans la reprise vidéo, c'était une passe incomplète. Avec la reprise vidéo, on avait l'équivalent dans les faits d'une passe incomplète. C'est un des cas où la reprise ne change rien à un jeu.

C'est également arrivé pendant la finale du US Open. Roger Federer a laissé partir un coup qui a nettement dépassé la ligne de fond. Il perdait son service sur ce point. Mais le juge de ligne n'a pas vu la balle hors ligne et le jeu s'est poursuivi. Si l'officiel donne le signal de la faute, Federer est brisé par Andy Murray et le jeune Anglais a une vraie chance d'enlever le set qu'il a perdu 7-5. Murray a protesté, on est allé à la reprise par ordinateur pour confirmer que Murray avait eu raison d'en appeler.

Le mieux que l'arbitre en chef a pu faire a été de faire rejouer le point. Federer l'a gagné pour finalement sauver son service et gagner le set et le championnat.

Ça aussi, c'est correct. C'est écrit nulle part que la vie est juste. Parfois, une équipe est favorisée et parfois, c'est le contraire. Avec les reprises télé, on peut corriger certaines erreurs mais souvent, et ça aussi c'est correct, on ne peut réparer les conséquences de l'erreur. Comme dans la vie.

Pensez-vous que les arbitres, malgré les vidéos et leurs grands airs de diplomates planant loin au dessus des athlètes, ont cessé d'être des humains ?

Pensez-vous que lorsqu'il fait 40 degrés dans un stade vide à Miami et que les Marlins tirent de l'arrière 8-0 en septième manche, pensez-vous que l'arbitre qui se meurt d'envie d'une petite Bud bien fraîche, n'élargit pas sa zone des prises ? Le marbre mesure 20 pouces tout d'un coup et les tirs à la hauteur des aisselles deviennent des prises. Plus vite ce sera fini et plus vite la première gorgée va faire plier les genoux de volupté. C'est humain.

Et pensez-vous qu'un gars aussi fin et gentil que Gary Carter n'arrachait pas quelques prises douteuses aux arbitres derrière le marbre. C'est tout juste si Carter n'attendait pas à la porte du stade pour ouvrir la porte du taxi des arbitres. Il était souriant, affable et s'arrangeait tout le temps pour que l'arbitre paraisse bien dans un match serré. Quand il manquait trois quarts d'un poil pour que la balle frôle le coin du marbre, Carter trichait un peu, la ramenait vers le marbre, l'arbitre le savait fort bien mais puisque le Kid avait été tellement gentil, Steve Rogers ou Ken Hill ou Dennis Martinez avait droit à une prise gratis.

Et soyez-en certains, les plus grands lanceurs de l'histoire, les Sandy Koufax, les Bob Gibson, les Dennis Martinez et les autres géants du baseball ont tous eu droit à un traitement de faveur. La balle aux genoux était une prise. Celle du lanceur opposé devait être un pouce plus haut. Et un pouce de plus, au baseball, c'est souvent fatal.

Et vous croyez peut-être que Wayne Gretzky avait droit au même traitement que les autres joueurs de la LNH ? Vous pensez que les arbitres le punissaient comme ils punissaient les joueurs plus ordinaires ?

C'est comme Michael Schumacher en Formule 1. Il a commis des fautes qui auraient entraîné des pénalités sévères pour tout autre pilote. Mais comme c'était Schumi et qu'il était tellement gentil avec tout le monde, il s'en tirait tout le temps.

C'est ce que je vous disais. Tous les officiels sont humains. Et même quand on a recours à des reprises, ceux qui analysent les reprises sont humains. Et leurs conclusions sont humaines. C'est tant mieux, on se tanne de jouer contre un ordinateur.