Vous n'avez pas idée comme c'est difficile de trouver des gens aisés qui sont prêts à parler de leur train de vie. En 20 ans de journalisme, je vous jure que je n'ai pratiquement jamais vu ça. Je suis certaine que c'est plus facile de trouver un curé défroqué viré échangiste qu'un Québécois nanti prêt à montrer sa Porsche et sa piscine creusée. Il y a dans cette province une pudeur inouïe face à l'argent.

Donc, j'ai ramé pour trouver des gens prêts à m'accueillir et j'ai envoyé beaucoup de courriels et donné beaucoup de coups de téléphone qui m'ont menée un jour à un certain Jean-Michel Ross. Un collectionneur d'art visuel contemporain dans la vingtaine.

«Écoutez, je n'ai pas de BMW devant la porte, mais j'ai une collection quand même pas mal du tout, je pourrais vous parler», me dit-il au téléphone.

- Alors, vous êtes quand même confortable pour avoir tout ça, lui dis-je. (Vous remarquerez l'utilisation du mot «confortable», un des mille euphémismes nécessaires quand on parle d'un tel sujet.)

- Oui, ça va

Je prends rendez-vous. Adresse dans Villeray.

J'arrive chez le gars en question. Triplex d'apparence normale. Je me dis que tout doit être rénové façon loft et rempli de lampes Flos et de meubles milanais.

La porte s'ouvre. Choc.

Je ne suis pas du tout dans l'appart d'un jeune mécène cossu décontracté habillé en Marni. Je suis chez un jeune gars débrouillard, organisé, dans un joli appartement rempli de boiseries comme en ont tant de jeunes Montréalais dans la vingtaine. Mais tout ça est plutôt modeste. À une chose près: sur les murs, il y a partout des oeuvres.

Des photos de Michel de Broin et d'Emmanuelle Léonard, deux artistes qui montent. Des collages, des gravures, des peintures. Une petite oeuvre de Jana Sterbak ici, un Roland Poulin pas loin. Une installation du trio d'artistes BGL dans la chambre à coucher: une reproduction d'une cabine téléphonique, grandeur nature, mais en bois.

On ne parle évidemment pas de Van Gogh ou même de Borduas. Mais au Québec, ces noms sont solides.

Et assis sur son canapé d'occasion, vêtu d'un t-shirt qui vient probablement d'une boutique du Mile End et surtout pas de chez Prada ou Philippe Dubuc, ce gars-là regarde sa collection et se dit qu'il est en train de très bien réussir.

Riche? Indeed.

Ross voyage beaucoup. Il va chez des amis, butine de ville en ville. Il aime l'art, alors il travaille dans ce milieu comme rédacteur pour une revue spécialisée. Il s'est lié d'amitié avec certains artistes et met ainsi la main sur des oeuvres à des prix raisonnables.

Bâtir sa collection, qu'il a lancée au début de la vingtaine avec une prime de départ de chez Bell, est son principal dada. Sa copine est artiste.

«Je ne suis pas riche si tu penses Hummer et télé à écran plat. À chacun son truc. J'ai ma collection. Et je la bâtis depuis déjà plusieurs années. Et j'ai trois bouteilles de champagne dans le frigo.»

Il y a quelque temps, continue-t-il, «je me serais moi-même considéré totalement bourg'!»

Environ deux semaines plus tard, je pars à Québec pour une soirée gastronomique où je me retrouve assise à côté d'un industriel qui a très bien réussi. Lui, il s'est offert des Mercedes et une Porsche. S'il s'écoutait, il aurait même probablement une Ferrari. Sauf que l'image que cela projette l'agace, dit-il. De toute évidence, il en a les moyens.

Je lui parle de ce dossier sur la richesse et il me répond.

«Vous auriez pu m'interviewer. Je ne suis pas riche, mais disons quand même en moyens.»

Je le savais, mais ce monsieur me l'a rappelé encore une fois.

La richesse n'a rien à voir avec le bilan bancaire. Ce n'est pas non plus les amis, la famille, le savoir ou je ne sais quoi d'autre à la sauce psycho-pop.

La richesse, c'est de se trouver riche.

En Porsche ou à pied, un nouveau tableau sous le bras.