Fin août, je commence à avoir hâte de retourner à l'école. Je ne le dis pas. Ça ferait trop nerd. Mais les journées sont de plus en plus longues. C'est bien beau, les matchs de baseball à trois dans la ruelle, mais vient un temps où tu veux te retrouver nombreux. Te retrouver en gang. Et faire autre chose que de courir après une balle qui finit toujours dans la haie du voisin. Mes bras meurtris en ont assez. Vivement la diversité!

C'est pour ça que les premiers jours d'école sont toujours magiques. Tout le monde est de bonne humeur. Tout le monde est content de se revoir. Même les profs. Étienne a encore grandi. Pépin a grossi. Hurtubise a plein de poils dans le visage. L'année commence. Troisième secondaire, c'est sérieux. Plus rien ne sera pareil! Je vais apprendre. Je vais m'ouvrir l'esprit. Je vais toucher au savoir. À la connaissance. Je vais péter des scores. Harvard, here I come! Vive l'école! Je regarde mon horaire, tout fébrile. Lundi, chimie, puis français, puis maths, puis éducation physique, puis géo. Mardi bio, puis anglais, puis histoire. Que de choses à faire. Tout un voyage dans ma tête.

>>> Consultez le blogue de Stéphane Laporte

Normalement, ce bel enthousiasme dure deux semaines. Le temps de réaliser, encore une fois, que c'est toujours la même affaire. Un prof qui récite son plan de cours. Des étudiants qui prennent des notes. Les apprennent par coeur. Pour avoir les bonnes réponses. Puis on oublie tout et on recommence.

Nous sommes le 15 septembre. Et j'ai déjà hâte à Noël. Et tout le monde autour de moi a déjà hâte à Noël. Surtout les profs. Ça se voit dans leurs sourcils inclinés. Dans leur ton monocorde. Dans leurs réprimandes fatiguées. Tout est prévu. Chaque seconde jusqu'aux Fêtes est réglée à l'avance. Pas de surprise. Pas d'étonnement. Ça devient endormant.

J'ai la tête posée sur mon cahier. J'écris ce que dit M. Tison. Il explique ce qu'est une grenouille: «La grenouille est un amphibien.» J'écris: «La grenouille est un amphibien.» Et entre chaque mot que j'écris, je regarde l'horloge. La... 14h40. Grenouille... 14h40. Est... 14h40. Un... 14h40. Il est toujours 14h40. Rien n'est aussi regardé dans une classe que l'horloge. M. Tison aurait beau avoir un poster de Farrah Fawcett derrière lui, les 30 gars en pleine puberté que nous sommes fixeraient plus souvent l'horloge. Notre liberté dépend de cette pendule.

Amphibien... 14h41. Ça sonne. Tous les gars écrasés sur leurs bureaux lèvent la tête. Et fixent à nouveau ce qu'ils fixaient déjà. Il est bien 14h41. Ça ne sonne pas à 14h41. Pourquoi ce miracle? La sonnerie est folle. Elle n'arrête pas. La classe s'affole. On ramasse nos cahiers, on zippe nos coffres à crayons. Le prof lève le ton: Calmez-vous! Restez assis! Ça doit être une erreur.

La cloche continue. Il faut se rendre à l'évidence, c'est le feu. M. Tison hausse les épaules. L'exercice de feu. Il l'avait oublié. Encore du trouble. Toujours du trouble. «Mettez-vous en rang.» On obéit. C'est pas notre premier exercice de feu. On connaît la procédure. Elle m'a toujours semblé absurde. Fuir la catastrophe en ordre de grandeur. Heureusement, je suis petit, je sors le premier.

Il y a plein de cohortes qui descendent les escaliers en criant. Mais on nous entend à peine tellement la sonnerie est forte. Nous voilà tous dans la cour de récréation. En colonnes. Presque au garde-à-vous. Les pompiers entrent vérifier si l'évacuation est réussie. Ils ressortent avec Pépin. Pépin en avait profité pour filer au réfectoire reprendre un autre dessert. Pépin a toujours faim.

Notre directeur se fait gronder. Le chef des pompiers n'est pas content. Si cela avait été un vrai feu, c'est Pépin qui serait brûlé au lieu de sa crème. Je regarde autour de moi. C'est beau. On n'est jamais dehors à 14h42, alors j'en profite pour observer le monde de l'après-midi. Il n'y a que quelques autos qui roulent dans la rue Sherbrooke. C'est pas comme le matin. C'est pas comme le soir.

L'alarme s'est calmée. On peut retourner dans notre classe. C'est poche. Les exercices de feu devraient être plus complets. On fait l'exercice ou on ne le fait pas. S'il faut faire comme si le collège était en feu, il ne faut surtout pas y retourner. Il faut rentrer à la maison. On devrait répéter cette étape aussi. Le jour où il y aura un vrai feu, le retour des gosses chez eux sera tout désorganisé. Je plaide ma cause à M. Tison. Il hausse les épaules. Il doit bien passer la moitié de la journée les épaules haussées.

Il reprend son cours. Notre petite distraction nous a quand même fait du bien. Au moins, il n'est plus 14h42. Il est 15h10. M. Tison accélère le débit pour compenser pour les 30 minutes perdues. On a peine à le suivre. Il y a la grenouille des champs, la grenouille Goliath, la grenouille mugissante, la grenouille rousse, la grenouille-taureau, la grenouille verte, la grenouille à grande gueule. Non, ça il ne l'a pas dit. C'est moi qui l'ajoute.

Seize heures. La cloche sonne à nouveau. Cette fois, c'est la bonne. Personne ne se met en rang. C'est la ruée. Trente fous sortent de la classe comme s'il y avait le feu. En 30 secondes, il n'y a plus personne dans l'école. C'est le chef des pompiers qui serait content.

Pour vaincre la sclérose académique, pour secouer cette routine qui finit par lasser même ceux qui aiment apprendre, les profs doivent faire preuve d'imagination. Et le système doit les aider. Pour que l'exercice de feu ne soit pas le seul imprévu de l'année scolaire. Pour que les jeunes soient stimulés. Pour que leur jeunesse soit animée. Sollicitée. Provoquée. Faites des exercices de feu sacré.