Si les élections se jouaient sur la convivialité personnelle des chefs, Jack Layton serait en route vers le pouvoir, car il est sans conteste le plus sympathique des quatre principaux leaders.

Oubliez les images fabriquées de Stephen Harper en papa gâteau et de Stéphane Dion en ami des bêtes. Quand on les rencontre en personne, M. Harper est terne et froid, M. Dion, distant et arrogant, et M. Duceppe, plutôt rigide, comme s'il était toujours sur le qui-vive. (Cela, notons-le bien, n'enlève rien à leurs autres qualités, qui sont nombreuses et impressionnantes.)

M. Layton, lui, est chaleureux, naturel et souriant, il aime les gens et cela se sent. Le contraste est frappant.

En plus, il parle très bien français, beaucoup mieux que Stephen Harper, ce qui évidemment s'explique: M. Layton, qui vient d'une vieille famille québécoise et a été élevé dans la région montréalaise, avait déjà une bonne longueur d'avance sur M. Harper, qui a appris le français une fois adulte. Mais M. Layton, ces dernières années, a manifestement perfectionné sa langue seconde. Il la parle maintenant avec aisance et fluidité, on ne sent pas l'effort. Face à MM. Dion et Duceppe, il se tirera très bien d'affaire au débat en français.

Lors de son interview à La Presse, jeudi dernier, à un moment donné, il a dit: «fortifier» au lieu de «renforcer». Il s'est repris en disant: «Je pense que c'est un anglicisme j'en fais beaucoup même si je travaille énormément sur mon français.» Modestie sympathique, venant d'un homme qui a atteint un remarquable degré de bilinguisme. En fait, «fortifier» est un mot bien français, c'est même au Larousse! Bref, voilà Layton devenu comme nous, francophones de souche toujours hantés par la peur de l'anglicisme dès que nous prononçons un mot qui «sonne» comme l'anglais!

Certes, il faudra plus qu'une bonne bouille pour que le NPD fasse une percée significative au Québec, la province qui l'a toujours boudé.

Layton, cependant, est optimiste. Le parti a tenu son dernier congrès à Québec. Il a adouci son caractère centralisateur, il présente un projet de garderies qui garantit au Québec le droit de retrait avec compensation financière Et surtout, il a enfin un député, Thomas Mulcair, dans Outremont, qui va probablement être réélu, ce qui serait une première car l'unique autre député néo-démocrate du Québec, Philip Edmunston, élu lors d'une élection partielle en 1990, s'était fait prestement battre aux élections générales suivantes.

Le chef néo-démocrate entretient aussi quelques espoirs ici et là, notamment dans Gatineau, où il a récupéré l'ancienne députée libérale Françoise Boivin, «snobée» par Stéphane Dion, ou encore dans Jeanne Le Ber, où se présente l'écologiste Daniel Breton.

Mais le NPD est drôlement coincé au Québec, entre le Bloc qui a le monopole sur le vote francophone de gauche et un Parti libéral que Stéphane Dion a tiré vers la gauche. Les trois partis jouent sur la même patinoire. Auquel le NPD espère-t-il enlever des votes? Ici, Thomas Mulcair, qui accompagne son chef pour la rencontre éditoriale à La Presse, signale que dans Outremont, 66% de ses appuis sont venus d'anciens électeurs bloquistes.

Théoriquement, le NPD pourrait bénéficier d'une conjoncture idéale: le Bloc est en perte de vitesse, et les libéraux de Stéphane Dion sont démoralisés et désorganisés Mais attention, la division du vote d'opposition entre trois partis pourrait aussi, dans bien des circonscriptions, faire l'affaire des conservateurs.

La patinoire est d'autant plus encombrée que libéraux, néo-démocrates et verts s'arrachent aussi l'étiquette «verte». Layton avoue qu'il envie leur nom aux verts, mais ne s'en inquiète pas outre mesure: «En dehors du dossier de l'environnement, Elizabeth May n'a pas grand-chose à dire.»

En outre, il se considère comme le précurseur des environnementalistes, lui qui militait pour les pistes cyclables dès les années 70, et dont le père, ingénieur, a conçu un premier prototype de voiture hybride au début des années 80... Il regarde la chevalière de son père, qu'il porte au majeur droit. «Je me bats aussi pour les idées de mon père!» lance-t-il. Il s'interrompt, le regard voilé et la gorge serrée, pour se reprendre aussitôt. «Excusez l'émotion», dit-il. Sympathique, ça aussi.