Comme dans toute grande famille, les inimitiés entre le gouvernement fédéral et ses 13 partenaires provinciaux sont inévitables. Toutefois, en période électorale fédérale, les provinces se gardent généralement une petite gêne et évitent d'embarrasser le gouvernement fédéral. Et vice-versa.

Dans les provinces de l'Ouest, en Ontario et dans les Maritimes, les conservateurs et les néo-démocrates fédéraux et provinciaux se donnent un coup de main, partageant souvent la même machine électorale. Même chose pour les libéraux, quoique les liens soient moins automatiques (il n'y a pas de parti conservateur en Colombie-Britannique, par exemple, et son premier ministre libéral, Gordon Campbell est plutôt... conservateur).

Au Québec, c'est plus compliqué à cause des nationalistes, qui se divisent de façon inégale entre les libéraux, les conservateurs, le Bloc québécois et même au NPD. Le Bloc et le Parti québécois, bien sûr, ont des liens organiques.

Les liens existent entre cousins fédéraux et provinciaux, mais les premiers ministres en exercice respectent d'ordinaire un devoir de réserve.

Pas cette fois. Du moins pas à Terre-Neuve, où le premier ministre Danny Williams s'apprête à faire campagne ouvertement contre les conservateurs de Stephen Harper. Le plus cocasse de l'affaire, c'est que Danny Williams est lui aussi conservateur.

Mais avant d'être conservateur, M. Williams est terre-neuvien. Il fulmine depuis des mois contre Stephen Harper, qui a détroussé sa province de précieux revenus de ses ressources naturelles, dit-il, avec ses modifications au programme de péréquation.

Pas content, M. Williams vient de lancer le mouvement ABC (Anything but conservatives ou, en français : n'importe qui sauf les conservateurs).

C'est comme si Jean Charest, furieux d'une décision d'Ottawa, lançait le mot d'ordre à ses partisans, à ses députés et à sa machine de battre le parti fédéral au pouvoir. Voilà qui ouvrirait toute grande la porte à une dangereuse escalade entre partis provinciaux et fédéraux. Et même entre Ottawa et les provinces.

Non seulement cette chicane de famille conservatrice est embêtante, mais elle pourrait aussi s'avérer coûteuse pour M. Harper, dont le parti détient trois des sept sièges de Terre-Neuve. Si les Terre-Neuviens suivent les instructions de leur premier ministre, ces trois circonscriptions pourraient changer de main. Or, dans le contexte actuel, tous les sièges comptent.

Si les effets de la campagne ABC de Danny Williams se limitent à Terre-Neuve, ce sera un moindre mal, mais les libéraux fédéraux espèrent que le mouvement fera tache d'huile dans les provinces maritimes voisines.

M. Williams, qui n'a jamais été reconnu pour sa retenue, pourrait pousser la fronde encore plus, en prononçant un grand discours à Toronto ou en s'associant à Stéphane Dion pour promettre un projet majeur dans le domaine de l'énergie à Terre-Neuve.

Il est difficile de prédire le nombre de votes que perdront les conservateurs à cause de M. Williams, mais chose certaine, il peut mettre des bâtons dans les roues de la campagne de M. Harper et ainsi ralentir son élan.

Pour un chef politique qui reprochait aux libéraux d'entretenir des relations pourries avec les provinces, Stephen Harper ne fait guère mieux.

Outre Terre-Neuve, les conservateurs de M. Harper ont réussi à indisposer le gouvernement ontarien. En particulier quand le ministre des Finances, Jim Flaherty, a déclaré que l'Ontario est le pire endroit où investir pour une entreprise. Dire cela au moment où l'économie de la plus puissante province connaît, justement, un ralentissement, ce n'était pas particulièrement subtil. Ni très constructif.

Au Québec, les relations entre les gouvernements Harper et Charest sont moins acrimonieuses. Il serait toutefois naïf de croire que tout baigne dans l'huile. Loin de là.

Depuis des mois, des ministres du gouvernement Charest refusent de participer à des activités avec deux ministres fédéraux, Josée Verner, du Patrimoine, et Jean-Pierre Blackburn, du Travail et du Développement économique.

La semaine dernière, la ministre québécoise de la Culture, Christine St-Pierre, a participé à Québec à une manifestation contre les coupes du gouvernement fédéral dans les programmes culturels. Rien pour réchauffer les relations déjà glaciales.

La guerre froide fait rage aussi entre Jean-Pierre Blackburn et son homologue du Québec, Raymond Bachand.

S'ils le pouvaient, les conservateurs offriraient à Mme St-Pierre et à M. Bachand un forfait tout compris d'une durée de cinq semaines dans un lointain Club Med.

Le cabinet de Stephen Harper a même songé à envoyer un émissaire demander à Raymond Bachand de ne pas faire de bruit durant la campagne électorale. Le plan a finalement été abandonné. Chez les conservateurs, on croise donc les doigts pour que les ministres de M. Charest ne fassent pas de vagues.

À Québec, le gouvernement n'a pas l'intention d'imiter Danny Williams et de lancer les hostilités. Mais on ne se gênera pas, prévient-on, pour intervenir sur la culture ou les subventions de Développement économique Canada aux organismes si les conservateurs ramènent le sujet sur le tapis.