Et dire qu'on se demandait sans rire qui des États-Unis ou de la Chine remporterait le plus de médailles d'or aux Jeux olympiques de Pékin. Fallait-il qu'on ait les yeux bouchés pour ne pas voir le scénario qui se dessinait!

Quatrième à Atlanta, troisième à Sydney, deuxième à Athènes. La tendance était là et elle s'est confirmée à Pékin, où la Chine a remporté 51 médailles d'or, contre seulement 36 pour les États-Unis, qui ont au moins la consolation d'avoir dominé au total des médailles.

Mais en Chine, il n'y a qu'un seul métal qui compte: l'or. L'entraîneur (français) de l'équipe de sabre chinoise, Christian Bauer, me racontait l'hiver dernier que son contrat exigeait, noir sur blanc, l'obtention d'une médaille d'or lors des Jeux. Heureux homme: un de ses athlètes, Zhong Man, en a gagné une en individuel et l'équipe féminine en a ajouté une d'argent.

Bauer est l'un des nombreux entraîneurs étrangers embauchés dans les années précédant les Jeux, dans le cadre des efforts visant à hisser la Chine au sommet du tableau des médailles. Le pays a investi des sommes colossales dans ce «projet de face», avec un succès évident. La Chine a gagné 19 médailles d'or de plus que lors des derniers Jeux, en 2004, et a atteint le chiffre symbolique des 100 médailles quand le boxeur Zhang Xiaoping a remporté son combat en finale des mi-lourds, hier après-midi.

La Chine a gagné au moins une médaille dans 26 sports au programme des Jeux, un de moins que le record établi par l'Union soviétique en 1980. Elle a aussi multiplié les premières: premières médailles d'or de son histoire en tir à l'arc, en trampoline, en aviron, en voile et en boxe. Elle a gagné neuf fois l'or en gymnastique, un sport où l'équipe masculine a dominé outrageusement: seul le titre au cheval sautoir lui a échappé. L'haltérophilie (8 médailles), le plongeon (7), le tir (5), le badminton (4 sur 4) et le tennis de table (4 sur 4) sont les autres principaux sports ayant permis à la Chine d'éclipser toute concurrence.

Cela dit, la domination chinoise est aussi en partie une conséquence des difficultés éprouvées par les États-Unis, numéros un lors des trois derniers Jeux. Michael Phelps est très bon, mais il ne pouvait pas tout faire seul.

Les Américains en ont arraché dans certains sports où ils dominent habituellement, à commencer par l'athlétisme. Ils ont remporté seulement sept médailles d'or sur la piste et la pelouse du Nid d'oiseau, soit exactement la moitié de leur total aux Championnats du monde, à Osaka, il y a un an.

La différence est essentiellement venue des épreuves de sprint, où la Jamaïque, menée par le nouveau roi de la piste Usain Bolt, a gagné six médailles d'or, contre une à Osaka.

Et le Canada, dans tout ça? Le Canada, il s'en tire très bien, avec ses 18 médailles, au 14e rang des Jeux. Tellement bien que je doute que l'appel du Comité olympique canadien (COC), qui a réclamé hier des investissements accrus dans le sport d'élite de la part du gouvernement fédéral, soit entendu à court terme.

Avant même que les 24 millions par année annoncés dans le dernier budget Harper aient commencé à produire des effets, le Canada a réussi au cours des deux dernières semaines la deuxième récolte de médailles de son histoire, après les 22 d'Atlanta, il y a 12 ans. (Le Canada en avait remporté 44 à Los Angeles, en 1984, mais c'était en l'absence de l'URSS et de plusieurs pays de l'Est.)

Dans les circonstances, il ne faudrait pas se surprendre que le COC soit victime de son succès. Je me mets dans la peau de Stephen Harper (le Canada, faut-il le rappeler, n'a pas de vrai ministre des Sports, à un an et demi des Jeux de Vancouver): pourquoi donner plus au sport quand des miettes (OK, un peu plus que des miettes) suffisent à produire une augmentation de 50% par rapport à la récolte canadienne de médailles à Athènes?

Évidemment, alors que des élections fédérales sont à nos portes, le temps serait peut-être bien choisi pour exciter la fibre patriotique canadienne en contribuant à une cause, le sport, qui a le mérite de rassembler la plupart des Canadiens, sans égard à leurs allégeances politiques...