C'était il y a 10 ans. J'étudiais en France. J'étais rentré chez mes parents, à Québec, pour les vacances. Souper en famille tranquille, Beethoven ou Brel ou Ferré en arrière-fond. Le téléphone sonne. «Marc, c'est pour toi.»

«Qu'est-ce que tu fais? me demande mon ami Louis au bout du fil.

- Ben, je mange, tranquille, en famille, en écoutant du Beethoven (ou Brel ou Ferré).

- Il est huit heures...

- Ouais?

- Tu devrais être en route!

- En route?

- Le show de Bran Van...

- Le show de Bran Van?

- C'est dans une demi-heure.

- Voyons! C'est demain le show de Bran Van. J'ai déjà réservé une place avec Allô-Stop...

- C'est dans une demi-heure. Québec-Montréal, c'est au moins 2h30. On fait quoi?

- Fuck. Bitch. Crap.»

Je n'avais jamais manqué un show de ma vie. Et manquer un show à 30$ le billet à l'époque où je vivais de prêts et bourses dans une chambre en béton grande comme une cellule en banlieue de Lille s'apparentait à une tragédie. En plus, j'avais adoré Glee. Vous dire ma déception de recevoir ce coup de fil inattendu. Ma désolation d'avoir raté ce spectacle au Métropolis qui, bien évidemment, a emballé tout le monde.

Je me suis souvenu au détail près de cette conversation téléphonique, mardi, en sortant justement du Métropolis. D'autant plus que je venais de passer la journée avec mon ami Louis.

Au loin, à peine audibles dans le tohu-bohu urbain, trois notes répétées quatre fois, inlassablement, comme une litanie. Ti-ti-ti-ti, ta-ta-ta-ta, tou-tou-tou-tou... Drinking in L.A. Je me suis dirigé vers la scène, aspiré par la musique, hypnotisé par sa répétition, enveloppé par le soir d'été, entouré de gens de mon âge replongés peut-être comme moi dans leurs souvenirs de 1998.

James Di Salvio a chanté «I woke up again this morning with the sun in my eyes», et je suis parti. Subitement. Ce n'est pas que j'aie été déçu. Au contraire. Ni que j'aie eu l'impression de boucler la boucle, de conjurer un quelconque sort ou d'en avoir enfin pour mes 30$. Je suis parti tout bêtement parce qu'il y avait trop de monde. Trop de congestion humaine. Trop de t-shirts au pied carré. Trop d'instinct grégaire pour mon propre bien.

Il y a 10 ans, je cherchais les bains de foule comme on cherche du réconfort auprès de ses amis (j'ai marché avec un million de personnes sur les Champs-Élysées, après la victoire de la France en Coupe du monde). Aujourd'hui, je les fuis comme la fièvre dengue.

Il y a 10 ans, Bran Van 3000 chantait Couch Surfer sur Glee. Laurent Saulnier avait crié au génie dans Voir et on était bien d'accord. Dix ans plus tard, Bran Van 3000 n'a pas chanté Couch Surfer mais son dernier album Rosé, à l'invitation du même Laurent Saulnier, sur la grande scène du Festival de jazz.

Je trouve que Rosé est du Bran Van dilué. C'est sans doute moi qui ai changé.

Mon festival «avec pas de jazz»

Je sortais donc du Métropolis, mardi soir. Je suis allé voir le spectacle qui m'inspire le plus dans la programmation du Festival (à l'exception de celui de Leonard Cohen - 175$ parmi les mieux investis de ma vie). Je ne suis pas le plus grand des amateurs de jazz.

Return to Cookie Mountain, des New-Yorkais TV on the Radio, était en revanche mon album indie-rock préféré de 2006. Tantôt free, tantôt pop, tantôt électro, tantôt chargé de guitares, mélodique mais musclé, et toujours teinté de spleen et de soul.

Sur scène, la bande à Tunde Adebimpe rend à merveille, distorsion en prime, l'énergie iconoclaste des disques TVOTR. «Cette pièce a pour titre All That Jazz», a d'ailleurs lancé Adebimpe de son humour particulier, avant de chanter Wolf Like Me, la pièce la plus vitaminée de ce spectacle énergique, qui avait en effet bien peu à voir avec le jazz.

Qu'importe. Les spectateurs du Métropolis (malheureusement à moitié vide) n'ont pas semblé s'en formaliser. Le Festival, c'est surtout après tout la fête de la musique. Avec «All That» ou pas de jazz pantoute.