Le gouvernement péquiste semble décidé à aller de l'avant avec son projet de Charte des valeurs, à tout le moins en tant qu'argument électoral. La stratégie se tient et pourrait se révéler rentable, lui évitant la déconfiture aux urnes, mais son fondement est si contradictoire qu'on pourrait parler de schizophrénie.

D'abord, parce que l'interdiction des signes religieux ostentatoires, qui en est l'élément le plus litigieux, et qui ne passera pas le test judiciaire (permettant ainsi aux nationalistes de déchirer une nouvelle fois leur chemise en dénonçant une autre charte, canadienne celle-là), est une mesure excessive qui ne repose sur aucune étude factuelle. Et, elle pourrait être remplacée par une autre, moins malséante et d'application plus simple: une redéfinition de la politique d'immigration québécoise qui réduirait le pourcentage d'immigrants provenant du Maghreb (dont les ressortissants comptent actuellement pour 21% des immigrants) et augmenterait celui des Latino-Américains, des Européens et des Asiatiques, puisqu'en réalité, cette interdiction n'est autre chose qu'une chasse au foulard musulman.

Malheureusement, la névrose péquiste est incompatible avec cette réforme de bon sens, puisque les Maghrébins, quoiqu'ayant la fâcheuse caractéristique d'être musulmans, une religion qui accorde beaucoup d'importance aux rituels et aux signes extérieurs, sont généralement francophones. C'est ainsi que la «schizo-névrose» péquiste accouche d'une politique répressive et liberticide, aux fondements impressionnistes, créée par sa propre obsession linguistique.

Une machine de guerre

Bien que présentée comme une politique visant à promouvoir la laïcité, la Charte est d'abord et avant tout une machine de guerre identitaire visant à réanimer le projet indépendantiste, agonisant depuis plusieurs années déjà. Aux dires mêmes de ses promoteurs, cette charte des valeurs québécoises vise «l'égalité entre les femmes et les hommes (une valeur qui n'a rien de spécifiquement québécois), la neutralité religieuse des institutions de l'État québécois (un objectif qu'elle ne vise que bien partiellement) et la reconnaissance d'un patrimoine historique commun (un fantasme)», le tout dans la perspective de «construire une identité québécoise forte, qu'on soit né ici ou ailleurs».

On voit bien que la laïcité n'est que le faire-valoir de la promotion de l'identité québécoise (qui n'est nulle part décrite ou définie). D'ailleurs, si ce projet avait eu pour objet de laïciser l'État et la société, on y aurait notamment inscrit des dispositions mettant fin aux subventions gouvernementales aux écoles confessionnelles ainsi qu'aux privilèges fiscaux aberrants dont jouissent les groupements religieux, y compris les sectes. Car la véritable laïcité ne peut pas être réduite à la gestion des accommodements raisonnables et à la proscription des signes religieux ostentatoires.

La composition même de la piétaille (intellectuelle ou populaire) qui milite en faveur de la Charte dans les médias depuis sa divulgation est une autre preuve de la prépondérance de la question identitaire sur la laïcité: des indépendantistes de mouvance conservatrice, qui se lamentent ad infinitum sur la perte de sens dont serait affligée la société québécoise; des nationalistes populistes qui voient dans l'islam une menace au mode de vie québécois et dont la devise est «À Rome, on fait comme les Romains»; et des xénophobes pour lesquels tout étranger qui ne s'assimile pas intégralement est un dangereux aliéné qui doit être repoussé au-delà des frontières de la patrie. Le nombre de véritables laïcs s'étant prononcés en faveur de la Charte se compte d'ailleurs sur les doigts d'une main.

C'est cette distorsion bipolaire qui a débouché sur une charte à deux vitesses, répressive envers certaines coutumes pratiquées par une proportion non précisée des immigrants et accommodante envers les manifestations de l'identité québécoise, même religieuses. En somme, une aberration schizoïde!