Mon conjoint est décédé le 20 juillet dernier d'un cancer de l'oesophage. À 42 ans, j'ai consacré les quatre dernières années à l'accompagner vers la mort et, alors que je devrais me consacrer à vivre ce deuil, l'aventure médicale m'a laissée endettée, sans emploi et sans revenu.

Des millions de dollars de soutien aux aidants naturels ont pourtant été annoncés au cours des dernières années. On a multiplié les discours sur l'importance de combattre leur isolement et leur appauvrissement et on a mis en place des crédits d'impôt, des prestations de compassion et des carrefours de soutien aux aidants. Quel est l'impact de ces millions dans la vie quotidienne d'une aidante naturelle quand la maladie frappe sa famille avant l'âge de la retraite?

Des crédits d'impôt pour aidant naturel? Pas pour les conjoints au fédéral et uniquement pour les conjoints de 70 ans et plus au provincial. Des prestations de compassion? Encore faudrait-il être éligible à l'assurance emploi. Quand les soins exigent deux ou trois visites à l'hôpital chaque semaine pendant des années, comment le conjoint en santé peut-il être «disponible au travail» ? Les services des carrefours de soutien? Ils ne financent que des projets destinés aux aidants des aînés.

Mais on crée des comités, on embauche des intervenants, on publie des brochures sur l'importance, pour l'aidant, de penser à lui et on organise des cours de gestion du stress et des conférences sur les relations interpersonnelles. L'appui aux aidants est une vaste entreprise de relations publiques dont ne bénéficient trop souvent que des intervenants et des conférenciers.

Au moment du décès, quand la famille vit depuis déjà longtemps des seules rentes d'invalidité du disparu, l'aidante n'a pas le privilège d'un deuil. En recherche d'emploi, elle découvre vite que le trou noir dans son curriculum vitae fait peur aux employeurs. Évidemment, à force de crier sur toutes les tribunes que les aidants ont besoin d'apprendre à gérer leur stress, on a fini par convaincre tout le monde que c'était vrai.

À l'heure actuelle, le principal champ de bataille du combat contre le cancer, au Québec, ce n'est pas la salle de traitement d'un département d'oncologie, mais la balance du pouvoir entre les intérêts divergents de syndicats, d'ordres professionnels, d'associations de cadres et de compagnies pharmaceutiques.

Dans ce contexte, être aidante, c'est se battre quotidiennement, être confrontée à l'absurdité du corporatisme, prendre des décisions significatives pour la survie d'un autre être humain, négocier pour obtenir des médicaments non couverts par la Régie ou des délais pour le paiement des comptes, inventer un repas nutritif avec les aliments les moins coûteux et mentir à celui qu'on aime quand il s'inquiète pour les finances... Je pense qu'on peut affirmer qu'une aidante naturelle est une personne capable d'assumer des responsabilités et de gérer des situations stressantes...

Avant la maladie, j'étais secrétaire de direction. Il m'arrive de me laisser aller au fantasme et de m'imaginer dans une rencontre avec les chefs de nos partis politiques. Je m'entends alors leur demander si, à part de belles paroles sur l'importance du rôle des aidants, ils ont des projets afin que la dignité ne soit plus que le thème d'une commission sur la mort; afin que l'intérêt des patients et de leurs familles passe avant celui des groupes de pression; afin que tous les médicaments pour le traitement du cancer soient couverts; et afin qu'une aidante naturelle ne soit plus marginalisée, appauvrie et abandonnée à son sort si l'homme qu'elle aime n'a pas la délicatesse de mourir selon leurs critères: vieux et vite.