... mais sensible aux angoisses, aux frustrations et aux affolements des gens âgés tombés dans l'oubli.

«Pensez-vous qu'il va venir, hier, madame Chose?» Elle ne sait plus les jours, ni même les heures. Elle oublie tous les noms. Elle connaît l'oubli, Mme Lafortune, l'oubli du temps et des événements, l'oubli des souvenirs et des gens. De plus en plus, d'ailleurs.

***

Mais sa grande inquiétude est qu'on l'oublie, elle. Que ses enfants oublient leur mère. Sont-ils venus, viendront-ils, là où elle ne sait d'ailleurs plus où elle est? Elle cherche les noms et confond les visages, mélange fratrie et descendance. Inquiète et indécise, elle implore finalement pour aller voir sa maman.

Est-ce que je peux lui indiquer le chemin?

Mais moi, je ne suis qu'un bénévole... à l'écoute des inquiétudes.

Pas un réparateur d'oublis!

***

«Pourquoi on me laisse dans cette merde qui pue?» Il s'enrage de devoir attendre: attendre encore, attendre qui, attendre quoi, attendre pourquoi ? Quelques fois, il pleure, pas trop fort, juste pour lui, pour sa dignité. Il a honte, M. Latendresse, honte de son odeur, de ses fesses à l'air.

Tu attends, tu attends tellement que, finalement, tu fais dans tes culottes. Ce n'est pas le beau petit caca d'un enfant. Il est dans un tas de merde qui pue! Il aimerait être tout petit et se réfugier dans une lointaine cachette, comme jadis. Se faire mettre aux couches est une douleur qui gruge insidieusement sa fierté.

Est-ce que je peux chasser ses odeurs?

Mais moi, je ne suis qu'un bénévole... attentif aux frustrations.

Pas un spécialiste de la honte!

***

«Je vais devenir folle, moi aussi, si je reste ici trop longtemps!» Encore des cris, souvent des crises, quelques fois des coups. Des murmures incohérents, des lamentations interminables, des gémissements douloureux. Elle s'inquiète, Mme Lachance, de ses peurs, de leurs peurs, de ses plaintes, de leurs plaintes.

On voudrait qu'elle trouve ces situations désopilantes, qu'elle ne s'énerve pas pour rien. Malgré ses mains tremblantes sur ses oreilles et ses grands yeux apeurés bien fermés, elle panique à son tour et se réfugie au fond de sa chambre, sinon dans un recoin perdu de son cerveau.

Est-ce que je peux ausculter ses pensées?

Mais moi, je ne suis qu'un bénévole... sensible aux affolements.

Pas un maître du silence!

***

«Peut-être que le bon Dieu m'a oublié ?» Tout son être est blessé: ses membres sont tordus, sa tête un peu perdue, son ventre creux, son regard fuyant. On le soigne bien, M. Lespérance, on l'alimente régulièrement, on le couche, on le lave de temps à autre, on lui sourit même régulièrement. Il est tellement fragile et très souffrant depuis trop longtemps.

Il est prêt pour le grand départ depuis plusieurs mois. Il prie beaucoup pour mourir moins lentement; quoi faire d'autre ? Pourquoi ces souffrances, pourquoi cette douleur de l'âme, pourquoi cette vie invivable? Il continue malgré tout à implorer avec espérance son sauveur.

Est-ce que je peux intercéder pour lui?

Mais moi, je ne suis qu'un bénévole... sensible aux angoisses.

Pas un magicien du temps!

***

Je ne suis qu'un bénévole...

Juste un bénévole, avec un petit don!

Pour apaiser les peurs et les pleurs

pour entendre les plaintes et les craintes

pour écouter les frustrations et les frissons

pour combler la solitude et la lassitude

Juste un bénévole...