Où sont les livres numériques en français? Le prix excessif et l'accessibilité limitée des livres en français devraient inquiéter plus d'un Québécois.

Où sont les livres numériques en français? Le prix excessif et l'accessibilité limitée des livres en français devraient inquiéter plus d'un Québécois.

Lorsque j'ai reçu mon Kindle il y a quelques semaines, j'ai découvert une création si fantastique qu'elle se compare avantageusement à la championne en titre des innovations humaines, l'invention du feu. Un appareil plus mince que le diamètre d'un crayon plomb et plus léger que la moitié d'un agenda; de dimension semblable à un iPad et muni d'un écran de la taille d'une page de livre de poche; capable de contenir plus d'ouvrages que ne peut en lire un être humain dans le temps d'une vie, soit 3000; permettant d'acheter des livres numériques en ligne à partir d'une connexion sans fil choisis parmi une collection de 581 081 titres; offrant tous les ouvrages classiques de la littérature occidentale pour du petit change et les ouvrages plus récents à 10$ ou moins. Voilà pour l'essentiel.

Mais il y a aussi l'accessoire. Le Kindle corne automatiquement la dernière page que vous avez lue, pour tous les livres que vous dévorez en parallèle. Pointez un mot et il affiche en bas de page sa définition. On peut le lire en plein soleil. Muni d'un clavier, il permet de prendre des notes, de souligner des passages, de collectionner des citations. Vous n'avez pas à le tenir d'une main pour éviter qu'il se referme tandis que vous mangez vos céréales de l'autre. C'est la bibliothèque d'Alexandrie dans votre poche, au lit, à la plage, dans l'autobus, à la salle de bain. Michel Tremblay en possède un. Il y lit Balzac et tous les grands. Vous comprenez pourquoi.

Pourtant, parmi les 133 quotidiens disponibles sur Kindle, un seul est francophone (Le Monde); sur 42 magazines, aucun n'est francophone; sur 581 081 livres, moins de 950 sont en français. C'est normal vous me direz, puisque le Kindle est un produit américain.

Soit, mais qu'en est-il du marché francophone? Consultez la boutique québécoise de livres numériques Jelis.ca et vous y trouverez environ 18 000 titres, la plupart en format PDF, dont la lecture est malaisée sur une liseuse autre que le très coûteux iPad et à un prix le plus souvent entre 15$ et 25$. Une recherche sans critères produit 24 230 résultats sur Numilog.com, le principal site de livres numériques en France. Quoi qu'il soit en expansion dans le monde francophone, le livre électronique y demeure un phénomène marginal.

Ma véritable intention n'est même pas de souligner le retard alarmant du français par rapport à l'anglais dans le domaine du livre numérique. Ni d'autres faits tout aussi alarmants, par exemple que Hot, Flat and Crowded du journaliste américain Thomas Friedman se vendait 10$ chez Chapters en juillet dernier tandis que sa traduction française vous raflera un douloureux 55$ aujourd'hui. Qu'on ne m'a jamais proposé de joindre un book club dans mes cours de français, mais seulement dans mes cours d'anglais. Qu'en français, on m'a toujours tyrannisé à lire des classiques incompréhensibles à l'âge que j'avais, tandis que mes professeurs d'anglais m'ont fait aimer la lecture en sachant respecter mon niveau. Ou encore cette citation tirée du rapport The Book Retail Sector in Canada (2007): «Le taux de lecture au Québec est le plus bas au Canada. Le pourcentage de Québécois qui lisent régulièrement des livres a chuté sous la barre des 50%. Le taux de lecture semblent être en déclin chez les Québec, particulièrement chez les francophones.»

Mon intuition, et c'est là mon message aux éditeurs et aux nationalistes, c'est qu'au lieu de vanter les mérites du papier, de s'obstiner à interdire l'éducation en anglais aux cégépiens ou à gaver impatiemment nos jeunes de littérature classique française et québécoise indigeste à leur âge, leur enlevant ainsi à jamais le goût de lire, on devrait peut-être s'empresser de réduire les prix de moitié, de multiplier les traductions disponibles et de numériser tout le corpus pour le rendre accessible. Car croyez moi: un peuple qui peine à lire, peine à vivre.