Mon copain m'a conquise par l'estomac. C'est un cuisinier de métier. Pas du genre à travailler dans une roulotte à patates! Non, non! Un cuisinier gastronomique. Sous-chef dans un restaurant chic.

Mon copain m'a conquise par l'estomac. C'est un cuisinier de métier. Pas du genre à travailler dans une roulotte à patates! Non, non! Un cuisinier gastronomique. Sous-chef dans un restaurant chic.

Un mercredi soir comme les autres. Là où la plupart des gens mangent un steak avec du riz, moi j'ai le bonheur de déguster un tartare de thon aux canneberges, un ceviche de pétoncles ou un potage aux pommes et aux betteraves. Chaque fois, je suis émerveillée par la maîtrise des techniques, par la créativité et par l'amour qu'il met dans chacun de ses plats. J'ai également le privilège de me faire servir des oeufs bénédictine au lit le samedi matin (avec une sauce hollandaise maison, évidemment!) Je l'admets, j'ai le chum idéal ! Chanceuse, vous dites?

Je suis la femme la plus chanceuse du monde. Je suis enceinte de sept mois et demi, et mon conjoint travaille pour l'un des chefs les plus connus du Québec. Cependant, le prestige du restaurant n'est aucunement proportionnel au salaire qu'on lui remet pour le dur labeur qu'il accomplit. Être payé 9 $ l'heure alors que les gens paient environ 200$ pour une expérience gastronomique ne me semble pas équitable. Mon chum crée de l'art pour les autres, mais nous n'avons pas les moyens de nous nourrir convenablement et devons recourir au programme OLO (aide alimentaire aux femmes enceintes) afin de donner tous les nutriments nécessaires au bébé qui s'en vient.

Je suis la femme la plus chanceuse du monde. Mon conjoint est dorénavant sous-chef. Oui, nous mangeons à notre faim (très bien, même). Mais mon amoureux n'est jamais là. Il travaille en moyenne 55 heures par semaine, parfois 15 heures par jour, sans pause, dans des conditions de chaleur extrême et de pression inimaginable. La Saint-Valentin, la fête des mères, le 31 décembre? Je les passe seule, car lorsque les gens fêtent, mon copain contribue à leur plaisir. Il travaille ces 55 heures, mais est moins bien payé que les serveurs qui travaillent deux fois moins fort, car les cuisiniers n'ont pas de pourboires. Il ne peut épargner pour sa retraite puisque les cuisiniers n'ont pas de caisse de retraite. Et, le peu de temps qu'il passe en famille, il est brûlé parce que c'est un cuisinier consciencieux qui donne toujours son maximum pour faire vivre une expérience culinaire hors pair aux clients de son restaurant.

L'art culinaire est tendance. L'émission Les Chefs a contribué à valoriser le métier (ou plutôt la vocation) de cuisinier de belle façon. Par contre, l'aspect créatif et glamour a été mis de l'avant. Le côté obscur, lui, on ne l'a pas vu lors de cette émission. Les sacrifices que ces artistes doivent faire sont immenses, et leur travail est trop peu reconnu, tant du point de vue salarial que du point de vue des avantages sociaux. La réalité, ce n'est pas l'émission Les Chefs. Oui, certains segments s'avèrent exacts (le stress, la maîtrise des techniques, etc.), mais la réalité d'un cuisinier, c'est ce que je vous ai décrit plus haut.

Je tiens donc, par cette lettre, à rendre hommage à Patrick, Éric, Vincent, et tous ceux qui suent sang et eau pour vous permettre de jouir de cet immense plaisir que constitue la gourmandise. Il est grand temps de remettre les pendules à l'heure et de faire valoir vos droits, qui sont trop souvent bafoués. Je vous admire sincèrement.