Le 8 avril 2008, j'ai donné naissance à ma deuxième fille. Nous l'avions attendue pendant près de trois ans... Enfin, la voilà! Mon conjoint, ma grande fille Frédérike et moi-même sommes au comble du bonheur.

Le 24 avril, notre bonheur a pris une tout autre allure: mon conjoint apprend qu'il souffre d'un cancer à l'estomac. Le choc, le tsunami d'émotions... Mon chum? Pas possible. Pétant de santé, entraîneur de professionnels, jamais fumé, jamais bu d'alcool, ça ne se peut pas! Vite, je me retourne sur un 10 sous. Je cherche le meilleur chirurgien, le meilleur traitement... et j'essaie de me remettre de mon accouchement.

 

La vie doit continuer. Facile à dire! À qui confier mon bébé de 2 semaines? Je me tourne vers ma mère; elle seule peut comprendre... Elle me vient en aide, m'appuie, m'écoute... elle devient mon équilibre, ma force. Je sais que je peux compter sur elle, qu'elle prendra soin de mon bébé et de ma grande. «Je vais être avec toi jusqu'à la fin», me dit-elle. Merci maman!

Mon chum subit une opération. Les traitements vont bien, mon chum répond bien. Mon bébé se porte bien. Bonheur, tu es toujours là?

Le 1er décembre 2008, nouveau coup dur: on diagnostique un cancer au cerveau chez ma mère. Un glioblastome gr4, le plus malin! Hé, bonheur, tu es où? Non, mais bonheur, ça va pas! Quoi, en plus, tu viens me chercher ma mère? À ce moment précis, le bonheur, je n'y crois plus. Lui aussi m'abandonne.

Ma mère pétante de santé, jamais malade, seulement 67 ans. Maladie incurable. Espérance de vie: de six mois à trois ans. Toute la famille est en état de choc!

Mon conjoint termine ses traitements, j'accompagne maintenant ma maman. Ma priorité: être là pour elle, peu m'importe le coût financier, moral et familial. Celle qui m'a tant apporté, qui a trouvé les mots pour me donner du courage quand j'en avais besoin. S'en suivent opération, traitements, réhabilitation. Hé, bonheur, tu es où? Il y a des moments dans la vie où on a vraiment l'impression que le mot bonheur ne fait plus partie de notre être, et des moments où on ne peut tout simplement plus remettre à demain.

Et maintenant, 15 mois après le diagnostic de ma mère, presque deux ans après celui de mon conjoint et la naissance de ma fille Sofia, je me demande encore: bonheur, es-tu là? La maladie de ma mère ayant évolué, les traitements ayant plus ou moins fonctionné, on doit prendre la décision de la transférer en soins palliatifs à l'hôpital, en centre ou à la maison... il faut avoir la place, pas évident! Bonheur: ma tante Suzanne (soeur de ma mère) nous offre de prendre soin d'elle, jusqu'à la fin, pour qu'elle puisse mourir en toute dignité. Ce fut à ce moment précis un très grand bonheur pour moi: savoir que ma mère serait dans cette maison remplie d'amour.

Mars 2010: bonheur, es-tu là? Je pense que oui. Mon chum va bien, la vie m'a donné deux magnifiques filles en santé, heureuses et formidables. Mes amies sont toujours là (même si moi, je les ai plus que négligées depuis deux ans). Mon père, même séparé depuis longtemps, a toujours démontré beaucoup de compassion et de disponibilité pour ma mère.

Et je me suis fait une très grande amie: ma tante Suzanne! Celle avec qui je n'avais que de superficiels échanges dans les partys de Noël est devenue une complice. À travers la maladie de ma mère, on a appris à se connaître davantage, et c'est vraiment un grand bonheur! Je découvre en elle une très grande générosité, de la patience, de la tolérance, de la compassion comme il s'en fait très peu dans notre monde si individualiste! Jamais je ne trouverai les mots, le cadeau, pour lui exprimer toute ma gratitude pour les extraordinaires soins qu'elle apporte à ma mère!

Que dire aussi de l'appui précieux de mon amoureux, Sylvain. Merci à lui.

Évidemment, ces dernières années sont pour moi les plus sombres de ma vie. Je me demande si souvent: bonheur, es-tu là? En prenant bien soin de m'arrêter dans ce tourbillon, en prenant bien soin de ne pas fuir cette réalité, malgré la colère, il y a de petits et de grands bonheurs... pas très loin.

Isabelle Legris

L'auteure est éducatrice-enseignante à L'Île-des-Soeurs.