À compter de 2018, ce n'est plus un monsieur mais une dame qui figurera sur les nouveaux billets de 10 $. L'entrepreneure Viola Desmond devient ainsi la première femme à figurer sur le devant d'un de nos billets de banque. Super ! Mais c'est quand même incroyable qu'Ottawa ait attendu si longtemps pour faire une place à l'une des moitiés de la population.

Viola qui ? La Néo-Écossaise Viola Desmond n'est peut-être pas connue au Québec, mais elle est un cours d'histoire en soi.

Cette femme est un peu notre Rosa Parks. Dans son cas, l'histoire* ne commence pas dans un autobus public, mais avec une panne d'auto, en novembre 1946.

Ayant dû s'arrêter au village de New Glasgow pour faire réparer sa voiture, Mme Desmond décide d'aller au cinéma. Forcée d'acheter une place au balcon sous prétexte que le parterre est réservé aux clients de race blanche, elle s'assoit tout de même dans la section interdite et refuse d'en bouger. Le gérant appelle la police qui la traîne en prison et la boucle pour la nuit. Amenée en cour le lendemain, elle se voit imposer une amende de 26 $. Son avocat portera sa cause jusqu'en Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, mais le tribunal refusera de faire tomber les accusations. Ce n'est qu'en 2010, soit 45 ans après sa mort, que Viola Desmond se verra accorder le pardon absolu du lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse.

Évidemment, on aurait aimé que la Québécoise Idola Saint-Jean, l'une des quatre autres finalistes, soit choisie, mais Mme Desmond n'est pas étrangère au Québec. C'est à Montréal qu'elle est venue suivre son cours d'esthétique parce qu'apparemment, l'école Field Beauty Culture était alors l'une des seules à accepter les élèves noirs.

Le défunt premier ministre John A. Macdonald n'y perdra pas au change. En cédant sa place à Viola Desmond sur les 10 $, il se retrouvera promu sur une plus grosse coupure - tout comme Sir Wilfrid Laurier qui lui, ne figurera plus sur les billets de 5 $ de cette nouvelle série.

Les femmes n'ont pas eu autant de chance. La Québécoise Thérèse Casgrain, qui a été la première Canadienne à diriger un parti politique, a déjà figuré au dos des billets de 50 $. Tout comme les « Célèbres cinq », ces cinq Albertaines qui ont obtenu que la femme soit reconnue comme une « personne » dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Hélas, quand les 50 $ en polymère ont été lancés en 2012, elles ont toutes disparu, remplacées par... un brise-glace. Et personne, évidemment, n'y avait vu quoi que ce soit d'anormal à Ottawa.

Il s'en est trouvé une, heureusement, pour dénoncer l'absurdité de la situation. L'historienne Merna Forster, qui avait déjà publié deux ouvrages portant chacun sur 100 femmes marquantes de l'histoire canadienne, l'a écrit aux gouverneurs de la Banque, dans des lettres ouvertes, sur son blogue et en tête d'une pétition en ligne qui a recueilli plus de 73 000 signatures. Il a quand même fallu attendre jusqu'au 8 mars dernier avant que le gouvernement et la Banque annoncent qu'une femme serait de la prochaine série.

Serait-ce parce qu'on est en 2016 ? La contribution de Merna Forster n'a pas été oubliée. Elle a reçu cette année le Prix d'histoire pour les médias populaires (prix Pierre-Berton) pour avoir convaincu un premier ministre de mettre enfin un personnage historique féminin sur les billets de banque. Officiellement, c'est un prix du Gouverneur général, mais dans ce cas-ci, on pourrait parler de prix Caillou dans le soulier.

« Je suis devenue une militante par accident », s'étonnait presque Mme Forster lorsque nous lui avons parlé hier.

C'est une bonne chose qu'une femme figure enfin sur un billet de banque canadien. C'en sera une meilleure encore le jour où la Banque du Canada se décidera à en choisir une autre sans qu'il soit besoin de militer pour ça.

* Informations tirées des sites de la Banque du Canada et de l'Encyclopédie canadienne.