Depuis la crise financière, les banquiers centraux nous ont habitué à une panoplie d'instruments non conventionnels d'assouplissement monétaire lorsqu'ils ont ramené leur taux directeur à zéro, et même en deçà.

Du nombre, les deux plus répandus sont la détente quantitative (DQ) et les indications prospectives.

Hier encore, la Banque centrale européenne a montré qu'elle utilise les deux. Après la reconduction du taux directeur à zéro, son président Mario Draghi a indiqué que le programme de rachat d'obligations gouvernementales à raison de 80 milliards d'euros par mois (la DQ) ne cesserait pas subitement en mars prochain. « Je crois que la fin du programme de rachat ne sera pas abrupte, a-t-il indiqué à la presse à titre prospectif. Ce n'est dans l'esprit de personne. »

La Banque du Canada a été parmi les toutes premières à recourir aux indications prospectives pour signaler aux marchés financiers que le taux directeur n'allait pas augmenter dans un avenir immédiat. Alors que la crise financière et économique faisait rage, le 21 avril 2009, la Banque a abaissé son taux directeur à 0,25 %, son niveau plancher d'alors. Le communiqué faisant part de sa décision contenait cette précision novatrice : « Sous réserve des perspectives concernant l'inflation, le taux cible de financement à un jour devrait demeurer au niveau actuel jusqu'à la fin du deuxième trimestre 2010. »

C'est en fait le 1er juin 2010 que le taux est passé à 0,50 %, compte tenu de la montée de l'inflation, puis à 0,75 %, et à 1,00 %.

Tant que le gouverneur d'alors Mark Carney est resté aux commandes, la Banque a suggéré qu'une réduction modeste de la détente monétaire allait être probablement nécessaire, tout en se montrant de plus en plus vague quant à l'échéancier.

Dès son entrée en poste, en juin 2013, son successeur Stephen Poloz a fait disparaître cette indication prospective des communications de la Banque.

Il s'en est expliqué un an plus tard dans un document d'analyse, certes aride mais très précis sur sa façon de gouverner.

Le gouverneur y reconnaît les avantages des indications prospectives lorsque le taux directeur se rapproche de zéro, mais il souligne surtout leur inconvénient en d'autres circonstances : « Les marchés peuvent développer une dépendance aux indications prospectives si celles-ci sont trop précises ou accompagnées de beaucoup de mises en garde. »

« La suppression des indications prospectives a comme effet déterminant de reporter de la banque centrale au marché une partie de l'incertitude concernant la politique [monétaire], ce qui est plus souhaitable en temps normal. » - Stephen Poloz, gouverneur de la Banque du Canada

Trois mois plus tard, il a donné la pleine mesure de cette ligne de conduite en annonçant une première baisse du taux directeur depuis 2010, prenant de court les marchés financiers.

Son document d'analyse contenait une autre nouveauté, passée inaperçue à l'époque et qui se révèle peut-être pourtant l'outil de communication le plus novateur de M. Poloz. Il donne désormais un aperçu de la réflexion du conseil de direction de la Banque lors de ses remarques d'ouverture à la conférence de presse qui présente le rapport sur la politique monétaire (RPM). Cette pratique « permet de faire la jonction entre la publication du RPM et du communiqué connexe » sur l'annonce du taux directeur.

Nous avons eu un bon exemple mercredi de l'importance de cette communication. M. Poloz y a précisé que « le conseil de direction a discuté activement de la possibilité d'accentuer la détente monétaire cette fois-ci de façon à accélérer le retour de l'économie à son plein potentiel ».

Ce n'était pas la première fois que les remarques liminaires du gouverneur contenaient des éléments d'information de première importance.

En janvier dernier, la croissance faiblissait. La spéculation allait bon train sur la possibilité d'une nouvelle baisse du taux directeur, ce qui plombait le dollar canadien. La Banque a alors opté pour le statu quo. M. Poloz a néanmoins révélé : « On peut donc affirmer à juste titre qu'au début de nos délibérations, nous penchions vers un nouvel assouplissement monétaire. »

Trop souvent, ces remarques liminaires sont négligées par les analystes économiques financiers qui passent pourtant au peigne fin les procès-verbaux des réunions de la Réserve fédérale (Fed), publiés trois semaines après la fixation du taux directeur.

Les délibérations du conseil de direction sont secrètes et ses décisions sont consensuelles. Chose certaine, en tout cas, s'il y a vote, il reste confidentiel, ce qui est très différent de la façon de communiquer de la Fed ou de la Banque d'Angleterre.

Voilà pourquoi les signaux rétrospectifs de M. Poloz doivent être scrutés avec le plus grand soin.