Encore récemment, trois banques sont venues confirmer ce que beaucoup d'observateurs craignent depuis des mois : la politique monétaire a donné ses meilleurs fruits.

Même s'il en reste sans doute quelques-uns, ils sont beaucoup moins toniques que ceux consommés au lendemain de la crise financière et de la grave récession qu'elle a engendrée. En outre, il est loin d'être acquis qu'on pourra régénérer l'arbre assez vite pour qu'il puisse produire encore de beaux fruits médicinaux en vue de la prochaine récession.

L'incapacité des autorités monétaires à rétablir leurs taux directeurs près du niveau neutre en inquiète plus d'un. Le taux neutre, c'est celui qui ne stimule ni ne refroidit la croissance lorsque l'économie tourne à plein régime.

Bien sûr, on peut arguer que les économies avancées et émergentes ne fonctionnent pas au maximum de leur capacité, ce qui peut justifier les politiques monétaires accommodantes présentes. En fait, elles sont exceptionnellement accommodantes : les taux directeurs sont au plancher ou presque un peu partout. Certaines banques ont même défoncé ce plancher, au point où il faut payer pour déposer une partie de ses épargnes en Suisse, au Danemark et en Suède.

La répression financière est devenue la règle : le rendement offert sur les dépôts des épargnants est inférieur au taux d'inflation, pourtant anémique.

Plusieurs banques centrales monétisent la dette de leur pays dans le but d'infléchir les taux d'intérêt, en particulier les taux sur la dette à long terme qui échappent à la politique monétaire orthodoxe.

On peut les faire diminuer en finançant directement les déficits de l'État ou indirectement en troquant des titres de courte échéance contre d'autres de longue échéance. Bref, en créant de la rareté pour ces titres, on en augmente le prix, ce qui se traduit par des taux d'intérêt plus bas. Dans le jargon financier, on a surnommé ce troc Opération Twist, et il était pratiqué notamment par la Réserve fédérale américaine (Fed) sous la gouverne de Ben S. Bernanke.

Le Japon, qui avait aussi lancé son Opération Twist, a fait un pas de plus dans la non-orthodoxie la semaine dernière en lançant une Opération Twist inversée : au lieu de se concentrer sur les titres de longue échéance, on va désormais acheter davantage les plus courtes dans le but de faire tomber les taux d'intérêt plus profondément en territoire négatif, en espérant stimuler la consommation et l'investissement.

Le Japon ne parvient pas à s'extirper du cercle vicieux de la déflation malgré sa politique monétaire ultra-accommodante.

L'impasse japonaise fait craindre aux autres banques centrales que le moindre tour de vis puisse compromettre une croissance molle qui ne se poursuit que grâce à leur volonté de rester très expansives.

Depuis le début du présent cycle, qui remonte à l'été 2009 en ce qui concerne le Canada et les États-Unis, les taux d'intérêt à long terme ont beaucoup fléchi. La faute revient au vieillissement de la population, à la faible productivité qui découle de la carence d'investissements, à la forte épargne au sein des économies émergentes et à l'absence d'anticipations inflationnistes : un cocktail explosif contre lequel on n'a pas encore trouvé d'antidote.

Cela a des conséquences pour les banques centrales. D'abord, le taux directeur neutre est beaucoup plus faible qu'au cours des cycles antérieurs. Surtout, il est hautement probable qu'on ne s'en soit pas rapproché alors que se profilera une nouvelle récession.

Dernièrement à Québec, le gouverneur de la Banque du Canada a rappelé que ce taux se situerait entre 2,75 et 3,75 %. Avant 2008, c'était plutôt entre 4,5 et 5,5 %.

Presque en même temps, les membres du Comité de politique monétaire de la Réserve fédérale américaine ont estimé que ce taux neutre serait sous la barre des 3 %.

À l'heure actuelle, le taux directeur de la Banque du Canada, le plus élevé du G7, se situe à 0,5 %, tandis que celui de la Fed évolue depuis décembre dans la fourchette de 0,25 à 0,5 %.

S'il est vrai que le taux américain peut fort bien grimper de 25 centièmes cette année et peut-être de 50 centièmes l'an prochain, rares sont ceux qui croient encore qu'il augmentera au Canada en 2017.

Pourtant, les banques centrales ont aussi abaissé considérablement ce qu'elles considèrent comme la croissance potentielle, c'est-à-dire sans surchauffe à un taux d'inflation aux environs de 2 %.

Autrement dit, même avec une croissance faible, les capacités inutilisées sont moindres qu'on les aurait estimées sans abaisser le taux de croissance potentiel.

Déjà à court de munitions ou presque, que pourront faire les banques centrales en cas de nouveau choc ou même, plus banalement, d'épuisement de la croissance ?