Au tour de la Deutsche Bank d'être dans la ligne de mire des spéculateurs et des lugubres fonds spéculatifs qui vendent son titre à découvert et parient sur sa déconfiture.

Beaucoup craignent que les difficultés du géant allemand entraînent la répétition de la crise financière de 2008-2009, déclenchée par la faillite de Lehman Brothers, alors quatrième banque d'investissement des États-Unis.

La haute direction de la première banque de la première économie d'Europe clame haut et fort sa solidité financière, citant son encaisse de 230 milliards d'euros.

La valeur aux livres de son actif excède de 67 milliards d'euros celle de son passif, mais sa capitalisation boursière a fondu aux environs de 14 milliards d'euros, cette semaine, soit la moitié environ de celle d'Airbnb.

C'est fort peu quand la taille de son bilan de quelque 1500 milliards d'euros équivaut grosso modo à celle de l'économie italienne et qu'une bonne partie de son portefeuille est constituée de produits dérivés dont la valeur est incertaine.

Cet été, le Fonds monétaire international (FMI) a affirmé que la banque francfortoise présente le plus grand risque parmi les grandes banques internationales d'importance systémique.

Autrefois fierté teutonne, la Deutsche Bank a grandi trop vite. À partir des années 90, elle a muté : d'une institution régionale axée sur les prêts aux firmes allemandes, elle s'est transformée en une banque d'investissement, à l'américaine. Elle a fait sienne la culture du cow-boy.

Elle a beaucoup trempé dans les prêts subprimes aux États-Unis, ce qui lui a valu le mois dernier une amende indigeste de 14 milliards US (12,4 milliards d'euros).

Après l'avertissement du FMI et la suspension de son dividende pour limiter ses pertes d'exploitation l'an dernier, cette amende a servi d'alerte aux investisseurs.

Des amendes de cette taille sont monnaie courante aux États-Unis. JP Morgan a versé 13 milliards en 2013, Bank of America, 16,7 milliards. Elles sont aussi négociables : Citigroup s'était vu présenter une ardoise de 12 milliards en 2014, et elle s'en est tirée pour 7 milliards.

Le problème de la Deutsche Bank, c'est qu'elle n'a provisionné que 5,5 milliards d'euros pour régler son litige. Elle en a par ailleurs des milliers d'autres de par le monde, de moindre importance toutefois.

La banque a aussi été prise la main dans le sac dans le scandale de la manipulation du cours Libor, à Londres. Elle est aussi mentionnée 15 000 fois dans les Panama Papers, ce qui suggère qu'elle a facilité le blanchiment d'argent et la fraude fiscale.

Sa faible rentabilité tient en partie à la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). Son taux directeur étant déjà nul, elle rachète des obligations gouvernementales dans le but d'infléchir les taux d'intérêt à long terme.

Or, les banques se financent à court terme et prêtent à long terme, selon le principe voulant que les taux de longues échéances offrent de meilleurs rendements. Plus s'aplatit la courbe de rendement des taux, plus diminuent les marges de profit des institutions prêteuses. D'autres banques européennes sont donc à risque.

Les difficultés actuelles de la Deutsche Bank risquent aussi de compliquer son financement à court terme et de faire tache d'huile sur le marché interbancaire où toutes les banques sont interconnectées. C'est ce que les banques centrales, et en premier lieu la BCE, doivent à tout pris éviter.

Les autorités européennes clament qu'elles n'utiliseront pas de fonds publics pour porter secours à la Deutsche Bank, si elle se retrouvait à manquer de capitaux.

La nouvelle règle établie par la zone euro est claire : c'est aux actionnaires et aux prêteurs obligataires de casquer. Pour le sauvetage des banques chypriotes en 2013, les autorités avaient même converti 9,9 % des dépôts en actions, expérience qu'elles se sont engagées à ne plus répéter, toutefois.

La Deutsche Bank a trois options pour grossir son capital. Elle peut se départir de filiales, comme l'a fait par exemple la néerlandaise ING qui a vendu ING Canada à la Banque Scotia, en 2012.

Elle peut émettre de nouvelles actions, mais au cours actuel, cela ne ferait que déprimer le titre déjà malmené en Bourse. Céder une participation minoritaire à un fonds souverain ou fusionner avec la Commerzbank, deuxième banque privée allemande, paraît une hypothèse réalisable à moyen terme.

Une nationalisation partielle contrevient aux nouvelles normes européennes. Toutefois, les difficultés de la banque toscane Monte dei Paschi vont peut-être prêter flanc à une dérogation. Rome ne peut électoralement accepter que les prêteurs de la banque écopent puisqu'ils sont en majorité aussi de petits déposants qui votent.

Ce n'est pas la voie privilégiée par Berlin. Angela Merkel préférera sans doute les pressions diplomatiques pour diminuer l'amende de la grande fautive et apaiser les marchés financiers.