Presque simultanément, à deux bouts du monde, deux chefs de gouvernement ont donné des indications sur ce qui semble devenir la nouvelle donne au chapitre des échanges économiques mondiaux.

À Pékin devant un parterre de gens d'affaires, le premier ministre Justin Trudeau a signalé que le Canada envisageait de rallier la Banque asiatique d'investissements dans les infrastructures (BAII). Lancée à l'initiative du gouvernement chinois en 2014 après le refus du Congrès américain de réformer la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, la BAII compte déjà le Brésil comme pays participant des Amériques, une brochette de pays européens, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, en plus d'une trentaine d'États du continent jaune. Le gouvernement de Stephen Harper, tout comme les États-Unis, n'a pas voulu y adhérer lors de son lancement officiel en mars 2015.

À Paris, le président François Hollande a demandé officiellement hier à Bruxelles l'arrêt des négociations avec les États-Unis de l'accord de Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP).

À ses yeux, il est impossible de conclure l'accord d'ici la fin du mandat du président Barack Obama.

Les candidats démocrate et républicain à sa succession ont émis de sérieuses réserves sur les avantages que pourraient en tirer les États-Unis.

Ils pensent de même en ce qui concerne le Partenariat transpacifique (PTP), signé en avril mais non encore ratifié. Le Canada est favorable au PTP puisqu'il inclut le Mexique et les États-Unis et pourrait rendre caduc l'ALENA, mais la Chine est expressément exclue de l'entente, ce qu'elle juge vexant.

L'échec appréhendé du PTP et du TTIP est aussi de mauvais augure pour l'Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l'Union européenne.

L'AECG et le TTIP reposent sur la même philosophie, qui accorde énormément de droits aux entreprises, au détriment de la souveraineté des États, ce qui a l'heur de déplaire... souverainement à une partie grandissante de la classe politique d'États européens, tout en stimulant des réflexes protectionnistes parfois justifiés, souvent réactionnaires.

Il peut ainsi sembler bien légitime qu'un État ne voie pas ses mesures antitabac contestées par un cigarettier étranger, mais farfelu qu'un autre s'oppose à l'appellation coquilles Saint-Jacques pour des pétoncles étrangers, sous prétexte qu'ils sont plus gros que les mollusques de ses eaux côtières.

Entre ces deux cas extrêmes, il existe une immense zone grise. Ce qui est le plus irritant touche surtout la santé publique et l'environnement, deux grands terrains de jeu des altermondialistes et des ultranationalistes.

Au-delà des produits agricoles, qu'en est-il des concepts de droit des sociétés, de réglementation environnementale, de législation du travail et, de plus en plus, d'optimisation fiscale ? (L'amende record imposée par l'Europe à Apple n'est-elle pas autre chose qu'une tentative de réaffirmation de la primauté des États, et de la démocratie, sur les pouvoirs abrasifs et arrogants du grand capital ?)

Autant d'obstacles sur lesquels les partisans les plus chauds de la mondialisation trébuchent depuis le début du présent millénaire.

D'abord, il y a eu la mort, en 2005, de la Zone de libre-échange des Amériques. La ZLEA devait créer un marché commun de la mer de Beaufort jusqu'à la Terre de Feu, selon la formule pompeuse du moment.

Puis, ce fut l'échec du cycle de Doha de l'Organisation mondiale du commerce qui devait libéraliser l'agriculture et protéger la propriété intellectuelle, deux morceaux indigestes pour les pays en développement.

La crise financière de 2008 a montré les limites de la mondialisation libérale.

Celle-ci a le mérite de créer et gonfler une classe moyenne dans plusieurs pays émergents (dont la Chine), mais au prix d'une paupérisation accrue dans d'autres pays avancés et en développement. Elle a surtout donné lieu à une concentration de richesses jugée immorale par un nombre grandissant de personnes de tous horizons.

Voilà pourquoi les pays vont désormais privilégier davantage des accords économiques moins ambitieux comme des traités bilatéraux ou des participations à des organismes internationaux à vocation spécifique.

La BAII est certainement un organisme au sein duquel le Canada a beaucoup à gagner. Il détient une expertise enviable en ingénierie, en montages financiers et en fabrication de pièces d'équipement sophistiquées.

En prime, la BAII offre la possibilité de diminuer la trop grande dépendance des fabricants canadiens envers le marché américain.