Le Québec n'a pas créé d'emplois jusqu'ici cette année, mais la proportion des personnes âgées de 25 à 54 ans qui en détient un est la plus élevée au pays. Chômage faible, taux d'emploi élevé, offres de travail rares ; n'est-ce pas autant de signes que nous sommes à l'orée du plein-emploi ? Qu'est-ce que ça signifie quand la croissance est si faible ?

Peu d'emplois disponibles

À 7,0 % le mois dernier, le taux de chômage québécois a baissé de sept dixièmes de point depuis un an, alors qu'il a augmenté d'un dixième à l'échelle du pays. Le vieillissement accéléré des Québécois explique cette baisse, bien plus que le découragement des chercheurs d'emploi.

D'ailleurs, il y en a peu de disponibles. Le nombre de postes vacants au premier trimestre est estimé à 53 000 par Statistique Canada, en baisse depuis un an. Ce nombre se rapproche des 66 200 postes à pourvoir l'été dernier, selon un sondage mené par la section québécoise de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante.

Le mirage des 250 000 emplois en cinq ans

Au début de son mandat, au printemps de 2014, le premier ministre Philippe Couillard s'était fixé comme objectif la création de 50 000 emplois par année pendant cinq ans. Jusqu'ici, il faut plutôt parler d'une moyenne annuelle de 21 000 emplois, selon les calculs de Jean-Pierre Aubry, économiste et Fellow invité au CIRANO. Si telle doit être la nouvelle norme, alors ça signifie 150 000 emplois de moins que l'objectif de M. Couillard et un rattrapage robuste, d'août à décembre, pour faire le compte cette année.

La production potentielle surestimée

La production potentielle, c'est-à-dire avec inflation maîtrisée et faible chômage, est beaucoup plus faible que celle qui était postulée au moment où a été fixé l'objectif de 50 000 emplois par année. Elle se situerait aux alentours de 1,1 à 1,3 %, s'il est vrai que la canadienne oscillerait entre 1,2 et 1,4 % cette année. La québécoise est plus faible à cause du vieillissement accéléré de la population et du désinvestissement privé plus important depuis quatre ans maintenant. En outre, Québec contribue fort peu à la croissance en ayant plutôt comme objectif de dégager des surplus budgétaires pour réduire la dette. Sans croissance au-delà du potentiel, il faut dire adieu à plus de 20 000 emplois par année.

Que faire pour augmenter la production potentielle ?

Investir, investir, investir. C'est une carence canadienne, mais le mal est plus grand au Québec. On se dirige vers une quatrième baisse annuelle de l'investissement privé alors que l'État réduit au minimum la croissance de ses dépenses. Québec en est conscient, mais la parcimonie de ses propres investissements n'incite pas ses fournisseurs à augmenter leurs capacités. En fait, si on exclut l'inflation, les dépenses de Québec stagnent, au mieux. Il y a aveu implicite de désinvestissement quand on parle, par exemple, de réinvestir en éducation. La progression de l'école privée au niveau secondaire n'est rien d'autre qu'une taxe cachée visant la classe moyenne. Ce phénomène n'existe pas ailleurs au Canada.

L'obsession des surplus budgétaires

Québec prétend avoir renoué avec l'équilibre budgétaire l'an dernier. Il vise à répéter l'exploit au cours des prochaines années. En fait, Québec avait prévu un surplus de 1,5 milliard à partir de revenus entièrement dédiés à la réduction de la dette par l'entremise de dépôts au Fonds des générations (FG). Cette année et l'an prochain, les sommes prévues au FG sont de 2,0 et 2,5 milliards. En plus de ce surplus programmé, il en a dégagé un excédent d'environ 1,8 milliard à partir de ses autres recettes fiscales, gardé en réserve. Il faut donc parler de surplus de 3,3 milliards, et non de déficit zéro, quand on compare la situation budgétaire à celle des autres provinces.

Est-ce le meilleur choix ?

L'Ontario vise un retour à l'équilibre budgétaire l'an prochain. Queen's Park choisit de stimuler son économie et de parier sur des rentrées fiscales conséquentes. La consommation des administrations publiques augmente de 1,1 et 1,7 % cette année et l'an prochain, selon Desjardins. Pour le Québec, c'est 0,1 % seulement, et ça inclut l'augmentation des dépenses fédérales.

Il faut préciser que Québec recevra moins en paiements de péréquation dans le futur à cause de la récession albertaine. La péréquation pèse beaucoup plus sur les recettes budgétaires au Québec qu'en Ontario. Pour atteindre son objectif de réduction du poids de la dette d'ici 2025, Québec doit aussi intégrer la haute probabilité d'une récession dans ses prévisions.

Doit-on repenser la politique d'immigration ?

Oui. Québec mène des consultations où on découvre une grande variété d'avis. Sa cible annuelle de 6600 réfugiés par an devra être relevée. C'est Ottawa qui accepte les réfugiés et les répartit. Jusqu'ici, cette année, Québec a déjà dépassé sa cible. Pour les autres, faut-il favoriser avant tout les besoins des employeurs à court terme ? Comment parvenir à les franciser quand ils viennent surtout à Montréal, où l'anglais est de plus en plus un préalable à l'embauche ? Québec doit-il s'attaquer au corporatisme de quelques ordres professionnels ? L'immigration doit-elle être pensée à long terme, surtout dans un contexte économique de quasi-plein-emploi ?

Photo Marco Campanozzi, Archives La Presse

La production potentielle au Québec est plus faible qu'ailleurs au pays à cause du vieillissement accéléré de la population et du désinvestissement privé.