Quand le gouverneur de la Banque d'Angleterre Mark Carney a annoncé un train de mesures d'assouplissement monétaire la semaine dernière, il a souligné que les conséquences du vote du 23 juin favorable à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne commençaient à « se cristalliser ».

Il ne croyait pas si bien dire.

Il en a pris la mesure dès mardi, deuxième enchère de son nouveau programme d'achats d'obligations gouvernementales (gilts) de 60 milliards de livres sterling (£), d'ici février.

La Banque avait prévenu les marchés de sa volonté d'acheter jusqu'à 1,17 milliard £ de gilts venant à échéance dans 15 ans au minimum. Elle était même preneuse pour l'échéance 2060.

Surprise, surprise ! Les porteurs n'ont offert que 1,118 milliard £, mardi.

La Banque a tout acheté, mais elle a compris que leurs détenteurs étaient peu disposés à céder leurs titres, un des rares véhicules pour placer des capitaux sans risque et avec un rendement minimum.

Les gilts de longue échéance sont particulièrement prisées par les caisses de retraite et les compagnies d'assurance vie qui doivent verser des prestations ou des rentes viagères. Elles en détiennent beaucoup.

Lundi, la Banque avait facilement acheté 1,117 milliard £ de gilts, mais dans l'échéance plus courte de trois à sept ans. Les soumissions ont dépassé 3,63 fois la somme recherchée. Ces titres offrent un rendement réel négatif, alors que l'obligation échéant en 2060 porte un coupon de 4 %.

Même s'il a manqué seulement 52 millions pour que la Banque atteigne son objectif, ce premier échec a créé un certain remous.

La valeur des gilts a grimpé. Or, plus une obligation est chère sur le marché secondaire, moins elle rapporte au nouvel acheteur.

Déjà la Banque détient environ le tiers des gilts en circulation en vertu de son programme de rachats de 375 milliards, lancé en 2009 et terminé en 2012.

Un tel programme d'assouplissement quantitatif, comme on en trouve aussi, par exemple, à la Banque centrale européenne et à la Banque du Japon, et comme la Réserve fédérale en a mené entre 2009 et 2014, vise à aplatir la courbe des rendements obligataires afin de faciliter le crédit aux consommateurs et aux entreprises.

Quand une banque centrale abaisse son taux directeur, elle agit sur les taux d'intérêt à court terme et espère faire baisser toute la courbe de rendements. En principe, plus l'échéance d'une obligation est longue, plus son rendement doit être élevé pour refléter les attentes en matière d'inflation.

Quand le taux directeur d'une banque centrale avoisine zéro, elle peut chercher à infléchir les taux d'intérêt à long terme en achetant massivement les titres de longue échéance. Ce faisant, elle crée de la rareté (lire de la cherté).

Cette fois-ci, les détenteurs ont signalé leur manque d'enthousiasme à jouer ce jeu, faute d'y trouver leur compte. Ils préfèrent dormir sur leurs titres, souvent achetés lors de leur émission.

Si cette tendance devait continuer, elle posera un grave défi à la Banque d'Angleterre et un risque élevé à l'économie du Royaume-Uni. C'est la trappe à liquidité (Keynesian Liquidity Trap).

En gros, ça signifie que les prêteurs refusent de prêter. Quand une banque centrale ne parvient pas à liquéfier les marchés du crédit, l'économie est paralysée, comme cela s'est produit en 2009 aux États-Unis et au Royaume-Uni notamment.

M. Carney et son équipe vont évidemment tout déployer pour éviter que l'incident de 52 millions ne dégénère en trappe à liquidité.

Nous en sommes encore loin.

C'est toutefois un signal clair des limites des programmes d'assouplissement quantitatif quand les taux d'intérêt obligataires sont déjà à des niveaux historiquement faibles, même dans les longues échéances.

Dans la plupart des pays, le rendement réel (après inflation) d'une obligation de 10 ans est négatif. Dans plusieurs, même le rendement nominal l'est aussi.

Dans ces conditions, les échéances de 15, 20, 30 ans et plus sont comme de l'or en barre pour les caisses de retraite ou les compagnies d'assurance vie. Par leur constitution ou leur réglementation, ces grands détenteurs de capitaux doivent conserver une part importante de leur portefeuille en titres à revenus fixes sûrs, même si leur banque centrale souhaite qu'ils s'en départent pour investir dans des usines ou des commerces afin de relancer la croissance.

Le prochain achat de gilts de longue échéance est prévu en novembre. D'ici là, M. Carney va tenter de convaincre le gouvernement de Theresa May de mettre en oeuvre un plan de relance.

C'est le meilleur remède connu à la trappe à liquidité.