Les chiffres ne mentent pas, dit-on. En fait, ils ne disent pas tout, tout seuls.

Prenons ceux de la création d'emplois des deux côtés de la frontière. L'économie canadienne peine à en ajouter cette année, alors que celle des États-Unis montre une nette volonté d'embaucher. En juillet, c'était - 31 200 de ce côté-ci et + 255 000 au sud. L'écart de deux points du taux de chômage, 6,9 % contre 4,9 %, est considérable, surtout que, jusqu'à il y a deux ans, le taux canadien était plus faible depuis le début du présent cycle.

À première vue, le Canada paraît incapable de tirer parti de la force relative de l'économie américaine, comme il le fait d'habitude, selon l'adage.

Autre preuve de ce décrochage apparent, en juin, le surplus commercial du Canada avec les États-Unis a fondu de 800 millions alors que les importations américaines totales étaient en hausse.

Avant de tirer des conclusions définitives, mieux vaut peut-être d'abord poser un diagnostic précis sur l'état de santé de l'économie américaine. Elle n'est pas aussi robuste qu'on le croit.

Au deuxième trimestre, sa croissance annualisée est estimée jusqu'ici à 1,2 % seulement, soit à peine mieux qu'au premier alors que bien des observateurs s'attendaient à bien plus.

Hier, on a eu une première explication convaincante. La productivité du travail non agricole a reculé pour un troisième trimestre d'affilée, d'avril à juin. Le gain annuel n'est plus que de 0,4 %.

Les États-Unis se dirigent allègrement vers une sixième baisse annuelle d'affilée de leurs gains de productivité, qui les mettra bien loin de leur moyenne annuelle à long terme de 2,2 %.

Que peuvent faire les entreprises pour pallier ce manque de dynamisme ? À court terme, embaucher ; à moyen et long termes, investir.

Elles choisissent jusqu'ici le court terme afin d'enrichir leurs actionnaires. Elles utilisent le gros de leurs profits après dividendes pour racheter leurs actions plutôt que d'améliorer leurs capacités de production.

Selon la Banque Nationale, l'âge moyen du parc d'actifs fixes américains est le plus élevé en un demi-siècle.

Bref, l'économie américaine s'essouffle, tout comme celle du Canada qui souffre depuis plusieurs années d'une carence d'investissements dans le secteur manufacturier.

Voilà sans doute pourquoi il a fallu attendre en 2014 pour que les volumes d'exportations canadiennes hors énergie vers les États-Unis rejoignent leur sommet de 2007. En 2009, la Grande Récession les avait fait plonger de 26 % !

En 2015, la progression s'est poursuivie, mais elle est stoppée jusqu'ici cette année. La faible croissance américaine contribue à ce revers de fortune.

Les gains anémiques de productivité américains signifient aussi que la croissance potentielle, c'est-à-dire celle où il y a plein emploi sans pressions inflationnistes, est sans doute moins élevée que les 2 % postulés par la Réserve fédérale.

Au Canada, la banque centrale l'estime entre 1,2 % et 1,8 % en penchant pour le bas de la fourchette. Elle estime aussi que c'est l'an prochain seulement que les volumes d'exportations mondiales hors produits de base (ces derniers incluent les minerais et les produits agricoles en plus des produits énergétiques) dépasseront leur sommet de 2007, une projection hardie à la lumière des résultats à ce jour.

Pour ce faire, il faudrait à la fois que l'économie américaine retrouve le tonus escompté et que le Canada additionne les nouveaux débouchés au moment où l'Accord général et global avec l'Europe bat de l'aile tandis que la ratification par les États-Unis du Partenariat transpacifique paraît compromise.

Alors pourquoi les États-Unis parviennent-ils à créer des emplois et le Canada, pas ?

Sans doute parce que le marché du travail y est moins tendu que le taux de chômage le suggère.

En adoptant la méthodologie américaine, qui diffère quelque peu de la canadienne, on ramène à 5,8 % le taux canadien de chercheurs d'emploi, soit 1,1 point de pourcentage de moins qu'avec la méthodologie canadienne.

Le taux de chômage, qui mesure la proportion de la population active qui cherche activement un emploi, n'est pas la meilleure mesure pour prendre le pouls du marché du travail.

Il faut plutôt porter attention au taux d'emploi. Il mesure la proportion de personnes occupant un emploi dans la population totale âgée de 16 ans et plus (selon le concept américain).

Au Canada, le sommet de 64,4 % a été atteint en février 2008. Aux États-Unis, il a grimpé à 63,3 %, en mars 2007.

En novembre 2010, il a chuté à 58,2 %, chez nos voisins. En juillet, il était rendu à 59,7 % et il remonte lentement cette année.

Au Canada, il est tombé à 62,0 % en juillet 2009 avant de remonter. Depuis un an toutefois, il diminue de nouveau en raison de l'essoufflement de la croissance et du vieillissement. En juillet, il se situait à 61,5 %, ce qui reste 1,8 point au-dessus du taux américain.

Bref, le marché du travail américain a à peine recouvré ses 7,8 millions d'emplois supprimés par la Grande Récession alors que les 400 000 disparus au Canada ont été récupérés dès 2011.

Infographie La Presse

En présumant un gain annualisé de 2,2 % au second semestre (le plus fort depuis 2010), la productivité n’aura augmenté que de 0,2 % en 2016.