Quand la nouvelle de l'échange de P.K. Subban est tombée hier, les réseaux sociaux se sont mis à disjoncter.

Du fan le plus fini à la femme d'affaires la plus aux antipodes de toute Zamboni, en passant à peu près tout ce qui bouge à Montréal, les opinions se sont mises à pleuvoir comme un orage de canicule.

On a entendu parler de lien de confiance brisé, de cataclysme, de triomphe de la mononcquitude presque plus gravement que pour le Brexit.

Les colonnes du temple venaient d'être ébranlées.

Incapable de croire qu'il puisse y avoir quoi que ce soit de bon pour la marque du Canadien et pour le hockey en général à Montréal, dans le départ de ce chouchou et emblème d'une certaine modernité, diversité et ouverture dans ce sport, enfin, j'ai donc décroché le téléphone et appelé l'expert en marketing et professeur à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM, André Richelieu.

Comment expliquer une telle décision d'un point de vue marketing ? lui ai-je demandé. N'est-ce pas une mauvaise idée d'un bout à l'autre ?

« Je voyais cet échange venir. Oui, c'est vrai que P.K. Subban faisait une grande partie de la marque du Canadien à Montréal. Mais en fait, sa marque personnelle était rendue presque plus grande que celle de l'équipe. »

- André Richelieu, expert en marketing et professeur à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM

Et c'était ça, le problème.

Selon M. Richelieu, le défenseur « détonnait » avec l'image que le Canadien voulait donner de son équipe, une image studieuse concentrée sur l'obtention de prochaines victoires et d'une Coupe Stanley.

« En sport, le meilleur marketing, c'est la victoire », a ajouté le professeur. Pas de se retrouver sur toutes sortes de photos « people » d'un bout à l'autre du continent.

Oui, le joueur était solidement engagé pour aider sa communauté, a poursuivi M. Richelieu. Et son rôle de porte-parole de la Fondation de l'Hôpital de Montréal pour enfants, à qui il a donné 10 millions, rejaillissait sur toute l'organisation. Mais ses voyages et ses activités, de C2MTL à la F1, en passant par les matchs des Raptors, bref, son omniprésente visibilité sur les réseaux sociaux, donnaient « une impression de désordre ». Une impression que la direction du club, habituée à des joueurs jouant discrètement au golf entre deux séances de gym estival, comme s'ils restaient toujours un peu concentrés sur leur saison à venir, n'appréciait pas, selon le spécialiste du marketing sportif.

Et on ne parle même pas de son association avec toutes sortes d'entreprises à l'extérieur du club : Gatorade, Boston Pizza, Samsung, Bridgestone, R.W. & Co, Air Canada, Scotiabank, Sports experts...

Ray Lalonde, autre expert de l'industrie du sport, ancien vice-président marketing du Canadien, n'est pas tout à fait du même avis. Oui, le nouveau joueur Shea Weber, contre qui P.K. a été échangé, est excellent, sympathique et il apportera donc beaucoup à l'image de marque du Canadien, lui aussi, surtout s'il permet au club de gagner, mais le défenseur torontois était un pilier important, unique pour le branding du club.

Car il avait à la fois un comportement hors glace exemplaire et un charisme qui allait chercher de la sympathie au-delà de la clientèle traditionnelle du hockey, en plus de donner aux fans traditionnels ce qu'ils voulaient : des buts et des gestes spectaculaires.

Donc, finalement, si je comprends bien, le seul vrai problème avec Subban c'était la concurrence entre sa marque personnelle, qu'il a toujours bien façonnée, bien poussée, bien mise de l'avant grâce à sa propre entreprise de marketing PKSS Management, et celle de son équipe.

Si je comprends bien aussi, la direction et les autres joueurs n'arrivaient pas à gérer, à absorber le marketing individualiste de la vedette hors de ses heures de bureau.

Si je comprends bien aussi, il y a un ratio très serré que doit respecter toute aspirante vedette sportive à Montréal : pour chaque once de popularité personnelle, il faut compter un certain nombre de buts et jouer un rôle crucial dans une certaine dose de victoires.

Sans ça, on n'aime pas trop ça.

« Et il n'y a rien comme le partisan sportif pour pardonner rapidement », ajoute M. Lalonde. On a même réussi à se remettre du départ de Guy Lafleur et de Patrick Roy.

Car encore et toujours, l'outil de marketing le plus redoutable est la victoire, le bon classement, les buts, la Coupe...

Et Subban, lui, à Nashville, pourra-t-il encore travailler sur sa marque personnelle ?

Le fait qu'il parte dans une ville connue pas mal plus pour son amour de la musique country que pour celui du hockey n'est pas nécessairement un plongeon, comme on pourrait le croire.

Ce sont les États-Unis qui s'ouvrent à lui, avec leurs commanditaires nombreux et riches. C'est un nouveau terrain où Subban pourra peut-être plus développer sa marque qu'ici, puisque la culture américaine fait sien son genre d'attitude et n'a aucun problème à produire des vedettes à la Michael Jordan ou à la LeBron James, issues d'un sport d'équipe.

« Subban a le charisme pour aspirer à aller loin », croit Ray Lalonde. « C'est un joueur qui attire la curiosité, la passion. Il rejoint des gens de partout. À Nashville, il va devenir un catalyseur, il va beaucoup les aider. »

Parce que quand un joueur rayonne, il fait rayonner l'équipe.

Photo Bernard Brault, Archives La Presse

P. K. Subban avait à la fois un comportement hors glace exemplaire et un charisme qui allait chercher de la sympathie au-delà de la clientèle traditionnelle du hockey, en plus de donner aux fans traditionnels ce qu’ils voulaient : des buts et des gestes spectaculaires, dit notre chroniqueuse Marie-Claude Lortie. 

Photo Bernard Brault, Archives La Presse

P. K. Subban avait à la fois un comportement hors glace exemplaire et un charisme qui allait chercher de la sympathie au-delà de la clientèle traditionnelle du hockey, en plus de donner aux fans traditionnels ce qu’ils voulaient : des buts et des gestes spectaculaires, dit notre chroniqueuse Marie-Claude Lortie.