Il y a plusieurs signes qui nous disent que l'été est arrivé. Certains sont évidents, comme le rallongement des journées, les canicules, le retour des bermudas ou le trafic moins lourd le matin.

Mais il y a un autre indice qui ne trompe pas, et c'est quand on se met à consacrer une énergie énorme à des débats qui ne méritent pas toute cette attention, sans doute parce qu'ils comblent le vide laissé par une actualité plus tranquille.

On en a eu un bel exemple depuis une semaine avec le débat autour de la décision de la Ville de Montréal, à la demande de l'arrondissement d'Outremont, de débaptiser le parc de Vimy pour le renommer parc Jacques-Parizeau. À mon avis, c'est un débat creux. Je ne le dis pas parce que je prends à la légère notre devoir de mémoire et encore moins par manque de respect pour M. Parizeau, mais parce que ce débat a été mené, et c'est sans doute une conséquence de la torpeur estivale, de façon paresseuse.

C'est la Fondation Vimy qui semble avoir lancé le bal, ce qui, dans son cas, se comprend. Cet organisme a pour mission de commémorer la bataille de la crête de Vimy, en 1917, pendant la Première Guerre mondiale, une véritable boucherie, qui fut un moment marquant de l'histoire du Canada. Mais le président de la fondation a beurré épais en parlant d'« amnésie culturelle et historique ». The Gazette et le réseau anglais de Radio-Canada en ont remis.

Le problème, c'est que la mémoire de nos combattants n'a pas été trahie.

Le minuscule parc de Vimy, que je connais bien parce que j'habite tout près, donne sur l'avenue de Vimy qui, elle, conserve son nom. À peu près personne ne connaît l'existence de ce parc, mais la rue, d'un peu plus de 1 kilomètre, très visible parce qu'elle croise deux grandes artères passantes, Van Horne et Côte-Sainte-Catherine, continuera à commémorer cette grande bataille.

D'ailleurs, c'est en baptisant cette avenue que la ville d'Outremont avait choisi de commémorer cette bataille. Le parc a tout simplement pris le nom de la rue sur laquelle il était collé.

L'existence de cette rue, à mon avis, aurait dû mettre fin au débat avant même qu'il ne commence. Pas d'oubli, pas d'indélicatesse, pas d'amnésie historique.

S'il n'y a pas de problème du côté du respect de l'histoire, encore faut-il que le changement de nom se justifie. En soi, il me paraît raisonnable qu'une société honore ses grands personnages.

Jacques Parizeau, comme premier ministre et comme grand artisan de la Révolution tranquille, fait partie des hommes d'État québécois contemporains qui méritent un hommage.

Cela peut évidemment se faire autrement qu'en renommant un parc. Le bureau d'affaires de la Caisse de dépôt, dans le centre-ville de Montréal, s'appelle maintenant l'édifice Jacques-Parizeau, pour reconnaître son rôle dans la création de la société d'État.

Le choix de ce parc tombait sous le sens. M. Parizeau a vécu des décennies à Outremont, sur la rue Robert, qui donne sur ce parc. C'est dans cette maison qu'il écrivait ses budgets. On y trouve d'ailleurs une plaque à la mémoire de sa première épouse, Alice Poznanska-Parizeau. C'était donc le lieu naturel pour qu'Outremont salue l'un de ses illustres citoyens.

Les changements de toponyme suscitent invariablement des débats, parce que ce sont des dossiers de proximité, qu'il y a des résistances au changement, parce que des lectures différentes de l'histoire et de la société peuvent s'affronter. C'est encore plus vrai lorsqu'il s'agit d'honorer des politiciens contemporains qui ne peuvent pas faire l'unanimité.

La Ville de Westmount n'a pas voulu que la portion du boulevard Dorchester qui la traverse prenne le nom de René-Lévesque. À Outremont, la décision de nommer la nouvelle bibliothèque Robert-Bourassa a suscité une indignation partisane en 1998. Et il est assez évident que dans le dossier du parc Jacques-Parizeau, c'est moins la mémoire de la bataille qui a joué que la personne même de M. Parizeau, que les Anglo-Canadiens voient surtout comme celui qui a « failli briser le Canada ».

Mais il est clair que les changements de toponyme doivent se faire avec la plus grande retenue. Le problème ne se pose pas dans les banlieues en expansion avec leurs chemins des Thuyas et leurs rues des Mésanges. Pour une ville qui a une histoire, comment respecter le patrimoine, ne pas effacer le passé, tout en reflétant l'évolution de la cité ?

Cette question s'est posée avec la francisation de Montréal dans les années 70. Elle se posera dans les années à venir avec le désir de redonner aux femmes la place qui leur revient.