Depuis quelque temps, il est de plus en plus question de paradis fiscaux, de financement du terrorisme, de corruption, de blanchiment des profits du crime.

Toutes ces dérives reposent sur l'existence de billets de banque, avant tout des gros billets.

À la différence des transactions électroniques, ils ne laissent pas de trace. D'où l'adage des milieux criminels : le liquide, y a que ça de solide !

Voilà qui explique pourquoi la Banque de France s'est officiellement prononcée hier en faveur de l'élimination de la coupure de 500 euros, la plus grosse en circulation en Occident après le billet de 1000 francs suisses.

Au Canada, la production de billets de 1000 dollars a été interrompue en 2000, à la demande de la Gendarmerie royale, dans le but de compliquer la tâche du monde interlope.

Celui-ci s'est rapidement rabattu sur les billets de 100 $. Sa prolifération est la plus spectaculaire de toutes les coupures émises par la Banque du Canada, malgré leur usage restreint dans les transactions quotidiennes des détaillants, hormis peut-être celles des concessionnaires de voitures de luxe et des magasins-entrepôts.

Depuis le début de la décennie, la Banque a augmenté leur nombre en circulation à un rythme plus élevé que la croissance totale des numéraires, à l'exception de 2012. Cette année-là, elle a commencé à retirer ceux de la série Épopée canadienne. Un nombre grandissant de petits commerçants les refusaient après la découverte de faux billets de 10 $ de cette série.

Les premiers billets en polymère ont été ceux de 100 $, émis dès novembre 2011, suivis des 50 $ et des 20 $ en mars et novembre 2012. Les 5 $ et les 10 $ ont été émis à compter de novembre 2013.

Les billets de 100 $ représentaient 41 des 75,5 milliards de la valeur des numéraires en circulation en 2015, soit 54,3 %. En 2010, les billets bruns pesaient 50 %. En 2005, c'était 46,4 %.

Seuls les billets de 50 $ ont connu une croissance plus rapide depuis 2010, quelques guichets automatiques les offrant désormais. Leur valeur totale représente toutefois 16 % de la valeur en circulation, contre 24 % pour les coupures de 20 $, de loin les plus utilisées dans les transactions au quotidien.

Pourtant, le nombre de billets verts augmente très lentement. L'an dernier représente l'exception, en raison de l'émission d'un billet commémorant le nouveau record de durée de règne établi par Sa Gracieuse Majesté, Élisabeth II. Le tirage de cette édition spéciale, qui se distingue par l'hologramme du portrait de la reine du Canada pris lors de son couronnement, est de 41 millions de billets.

Certains défenseurs des gros billets arguent qu'ils servent de réserve de liquidités au sein des familles. Cet argument ne tient pas la route. Selon une enquête effectuée par la Banque elle-même, les Canadiens détiendraient aux environs de 300 $ en liquide à la maison. L'enquête ne précise pas s'il s'agit de ménages ou d'individus.

Or, la quantité de billets à l'effigie de Robert Borden est telle que chaque Canadien (poupons et grabataires inclus) en détiendrait 11.

Une récente étude de Desjardins se penche sur l'utilité décroissante de l'argent comptant dans la vie quotidienne.

Selon son auteur Hendrix Vachon, les grosses coupures servent de lubrifiant à l'économie souterraine, que Desjardins estime à de 10 à 20 % de la production de biens et services.

M. Vachon fait ressortir le fait que l'élimination du comptant, et surtout des grosses coupures, pourrait faciliter la tâche des banques centrales dans un scénario où elles désirent adopter des taux négatifs. Les particuliers et les entreprises auraient un instrument de moins pour thésauriser, dans le but d'éviter de devoir payer pour épargner.

Pareille mesure devrait être planifiée et concertée par la plupart des pays occidentaux, pour éviter qu'une autre monnaie serve de substitut à celles qui disparaîtraient.

Malheureusement, il est bien peu probable que les États-Unis participent à une telle initiative, en raison de l'attachement des Américains pour le billet vert, perçu comme un symbole identitaire fort.

En attendant, le papier monnaie va de moins en moins servir aux transactions quotidiennes, les diverses formes de paiement électronique étant de plus en plus accessibles, économiques pour les marchands et populaires auprès des consommateurs, les plus jeunes en particulier.

Quant aux grosses coupures, peut-être faudra-t-il imaginer un moyen performant de suivre leur trace afin de contenir la prolifération des transactions illicites.