Près de 30 milliards. Voilà la taille probable du déficit du premier budget libéral, présenté le 22 mars, si on ajoute la valeur des engagements libéraux durant la campagne électorale à l'estimation de 18,4 milliards projetée dans la mise à jour budgétaire présentée hier par le ministre des Finances Bill Morneau.

Cela peut paraître beaucoup. Pourtant, ces 30 milliards correspondent à 1,5 % de la taille de l'économie canadienne, évaluée à quelque 2000 milliards par Statistique Canada.

Pour mettre cette proportion en perspective, disons que les Américains se vantent d'avoir réduit leur déficit à l'équivalent de 2,5 % de leur produit intérieur brut (PIB) nominal.

Évidemment, on peut rétorquer que les Américains peuvent financer leur dette plus facilement puisque le billet vert reste la monnaie de référence. C'est oublier pourtant que les coûts d'emprunts d'Ottawa sont moins élevés que ceux de Washington : 61 centièmes de moins pour une obligation de cinq ans, 63 pour une de 10 ans et 71 pour une de 30 ans. Ces jours-ci, Ottawa peut trouver preneur pour une partie de sa dette à un taux de 1,98 % seulement, pendant 30 ans.

Bref, ce sont des conditions idéales pour emprunter. C'est tellement vrai que, même en projetant un déficit de 18,4 milliards (ou 0,9 % du PIB) au lieu de 3,9 milliards comme dans la mise à jour de novembre, Ottawa pense économiser 200 millions au service de sa dette. Et même en ajoutant encore 15,5 milliards (0,7 % du PIB) de déficit en 2017-2018 (au lieu des 2,4 milliards projetés en novembre), il devrait verser 100 millions de moins en intérêts.

Prudent, vu la conjoncture, M. Morneau s'est fixé un horizon budgétaire de deux ans seulement, plutôt que cinq.

Cela dit, le nouveau solde de 18,4 milliards est le résultat de revenus inférieurs et de dépenses encore inédites en novembre.

Commençons par les dépenses : la baisse d'impôt et les mesures fiscales annoncées en décembre coûteront 1,3 milliard. L'accueil des réfugiés syriens exigera 200 millions, tout comme l'annulation de coupes dans les congés de maladie des fonctionnaires. L'engagement militaire au Proche-Orient coûtera un demi-milliard de plus et le programme Emplois d'été Canada, 100 millions. En tout, 2,3 milliards de plus.

La détérioration de la conjoncture économique et le gonflement des provisions pour éventualités font le reste.

Ottawa ramène de 4,2 % à 2,4 % seulement la croissance de l'économie mesurée en dollars courants (le PIB nominal), soit un écart de 20 milliards. Cela s'explique surtout par un prix du baril de pétrole (WTI) ramené de 54 à 40 dollars américains.

À ces 20 milliards de moins au PIB nominal, Ottawa en retranche encore 40 (ou l'équivalent de 2 % du PIB nominal). Cela lui permet de réduire sa projection de revenus de quelque 6 milliards. Cela équivaut à se donner un coussin pour imprévus deux fois plus élevé que celui du ministre conservateur des Finances, feu Jim Flaherty.

Si les imprévus ne se matérialisent pas, alors ce coussin pourra servir à réduire le déficit.

Avec une telle prudence, on est loin d'un dérapage. On se rapproche plutôt de la tactique de l'ancien ministre Paul Martin qui s'est, entre autres faits d'armes, distingué par sa surestimation répétée de ses dépenses ou la sous-estimation de ses revenus.

À la différence de M. Martin, toutefois, M. Morneau ne pourra pas pelleter une partie de ses responsabilités dans la cour des provinces. Leurs finances ne se sont pas redressées comme celles d'Ottawa depuis la Grande Récession, l'explosion des coûts en santé ne le permettant pas. Pour l'exercice en cours, deux seulement s'en tireront sans déficit (la Colombie-Britannique et le Québec).

Selon les calculs de BMO Marchés des capitaux, le ratio de la dette fédérale sur le PIB nominal est de deux points de pourcentage plus élevé qu'en 2008, contre 10 points pour l'ensemble des dettes provinciales, dont plusieurs sont menacées de décote.

Ce qui nous amène au budget du 22 mars. Redresser l'économie en stimulant la réfection et le déploiement d'infrastructures exige avant tout du doigté. À court terme, on peut accélérer des programmes de dépollution (en Alberta) ou de réparation de ponts, de routes (au Québec et en Ontario), d'hôpitaux et d'écoles (partout).

Doter l'économie canadienne de nouveaux outils (pipelines et lignes de transport d'électricité, d'un océan à l'autre, centres de recherche) exigera négociations, planification, disponibilité de main-d'oeuvre qualifiée. Il faudra faire les choix les plus porteurs projetés sur un horizon de plusieurs années et du non du favoritisme pour les régions qui auront voté rouge.

Infographie La Presse