En principe, l'affaiblissement du huard face au billet vert et la chute des prix de l'énergie sont censés stimuler la production en usine et les exportations.

En pratique, c'est vrai, mais selon une dynamique qui fait des gagnants et des perdants et dont le déploiement sera lent.

Deux études récentes tentent de cerner la réalité en train d'émerger pour les exportateurs canadiens.

Celle de la Banque du Canada explore l'ensemble des biens et services hors énergie destinés à l'exportation, depuis le cuivre et la potasse en passant par les autos et le bois, sans oublier les services commerciaux ni le tourisme.

La seconde, produite par les recherches économiques de TD, se concentre sur le secteur manufacturier.

Ses auteurs Brian DePratto et Nicole Fillier proposent une démarche originale qui intègre plusieurs mouvements concurrents, mais pas simultanés.

À première vue, les grands gagnants de la dépréciation sont les produits forestiers (bois d'oeuvre, papier), les plastiques, les meubles, les imprimés et les produits métalliques.

Les grands perdants sont la pétrochimie, l'agroalimentaire, la machinerie et l'équipement et les métaux de première transformation.

Premier constat, le poids des perdants est près de deux fois plus élevé (41 %) que celui des gagnants (22,4 %).

Les auteurs étudient ensuite comment les ventes accrues des gagnants peuvent aussi stimuler celles de leurs fournisseurs. Ainsi, il faut du bois, des produits plastiques et métalliques pour fabriquer des meubles, du papier et des produits chimiques pour les imprimés.

Bref, les gagnants peuvent aider d'autres gagnants et d'autres segments qui ne profitent pas directement du taux de change.

Vient ensuite un phénomène de substitution. Les manufacturiers qui importent beaucoup de composants seront incités à les remplacer autant que possible par des produits canadiens.

Parmi ces substituts potentiels se retrouvent des produits chimiques et des plastiques, deux segments où l'industrie canadienne est performante.

Il peut toutefois s'écouler bien des mois avant que les contrats d'approvisionnement viennent à échéance ou que les fabricants canadiens s'ajustent à de nouvelles opportunités.

Toute cette dynamique est toutefois ralentie par des années de sous-investissements qui ont réduit les capacités de production dans plusieurs industries. Ainsi, l'industrie du bois fonctionne maintenant à 98 % de sa capacité.

Les auteurs ont calculé que les capacités de production de 2014 équivalaient à 84 % seulement de la moyenne de la décennie précédente. Et cela inclut la pétrochimie qui était rendue à plus de 120 %.

En fait, parmi les segments qualifiés comme les plus avantagés par la faiblesse du huard, seul l'imprimé a des capacités plus grandes. Celles du bois sont inférieures à 80 %, celles des plastiques à 90 %, celles des meubles à 95 %.

Tirer vraiment avantage de la nouvelle réalité de notre dollar risque donc de prendre un certain temps, y compris pour les fabricants dont la production est destinée au marché intérieur et qui deviennent plus compétitifs face à la concurrence étrangère.

Il faudra que les dirigeants d'usine se convainquent qu'il sera avantageux d'investir. Les dernières données de l'Enquête sur les perspectives des entreprises (janvier) de la Banque du Canada montrent plutôt qu'elles sont très hésitantes, alors que celles sur les opérations mobilières internationales (décembre) de Statistique Canada montrent que les Canadiens choisissent plutôt d'investir massivement à l'étranger.

Ces deux séries de chiffres ne permettent pas d'isoler le secteur manufacturier de l'ensemble des investissements, toutefois.

On sait cependant que l'industrie automobile perd des parts de marché significatives aux États-Unis. Depuis la dernière récession, les constructeurs ont privilégié le Mexique plutôt que le Canada, après les États-Unis, pour augmenter leurs capacités. En fait, il n'y a pas eu de nouvelles usines d'assemblage au Canada depuis 10 ans, même si quelques complexes existants ont augmenté leurs capacités.

L'an dernier, les États-Unis ont accueilli deux usines (Volvo et Mercedes) tandis que le Mexique en accueillera bientôt une de Toyota. Ce sera sa huitième depuis 2010.

Bref, la croissance des exportations devra compter beaucoup sur les services (marketing, design, logiciels, culture, ingénierie, transport, etc.) qui reposent davantage sur la matière grise que les matières premières, si on veut en faire un véritable moteur de l'activité économique canadienne.