Au pays de sa Gracieuse Majesté Élisabeth II, il est beaucoup question de séparation ces jours-ci.

Pas de celle de l'Écosse, mais bien celle du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Europe. On résume cette éventualité par le mot-valise Brexit, comme on a parlé de Grexit, quand il a été question de chasser la Grèce de la zone euro, l'an dernier.

Hier soir et ce matin, les chefs des 28 pays de l'Union européenne se sont réunis en Conseil à Bruxelles dans le but d'offrir une réponse aux exigences du premier ministre britannique David Cameron. Il s'est engagé à tenir un référendum d'ici la fin de 2017. Maints observateurs le prévoient dès juin. La question sera claire : le Royaume-Uni devrait-il rester membre de l'Union européenne ou la quitter ?

Jusqu'à récemment, la possibilité d'une Brexit n'était pas prise au sérieux. Le problème des migrants et les difficultés de l'Union à régler ses crises passées a donné, au fil du temps, beaucoup de munitions aux partisans de la séparation, si bien que les camps pro-européen et eurosceptique sont au coude à coude dans les récents sondages.

Une grave crise politique aux répercussions économiques considérables secouerait à la fois le Vieux Continent et le monde, si le camp de la séparation devait l'emporter.

L'attention des marchés financiers, déjà ébranlés par les signaux de faiblesse en provenance de Chine, serait vite recentrée sur les fragilités de l'Union et de la monnaie unique. Les spéculateurs chercheraient à les attiser comme ils l'avaient fait avec l'aide d'instruments financiers complexes, conçus par Londres, pour fragiliser la dette publique de la Grèce, du Portugal, de l'Irlande et même de l'Italie.

Au Royaume-Uni, ce ne serait pas la fête non plus.

Il faudrait renégocier les traités de libre-échange et encaisser le choc du rapatriement sur le continent de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, située à Londres. Son quartier des affaires, la City, perdrait aussi les activités de compensation des transactions en euros qui font en partie sa fortune.

La sortie de l'Union attiserait davantage les velléités indépendantistes de l'Écosse, très favorable au maintien du lien avec le Continent. Des élections générales sont d'ailleurs prévues l'an prochain au pays du whisky malté.

Bref, M. Cameron s'est amené à Bruxelles un peu pris entre l'arbre et l'écorce, en ayant soin de mettre ses protagonistes dans la même situation pour arracher un compromis.

Un peu comme l'accord du lac Meech qui répondait aux cinq conditions du Québec pour qu'il ratifie la réforme constitutionnelle de 1982, M. Cameron en pose quatre pour faire campagne pour le maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne.

Deux ne font pas litige : la réduction de la paperasse bruxelloise est souhaitée par la majorité des membres, plutôt d'accord aussi avec l'idée de pouvoir bloquer une législation européenne, si 55 % des parlements nationaux s'y opposent.

En revanche, le droit de regard exigé par Londres en ce qui concerne la surveillance des marchés financiers de la zone euro pose problème. Cela équivaut à ne pas baliser la City, le coeur financier de l'Europe qui recycle les pétrodollars des monarchies du Golfe. Londres ne veut pas contribuer non plus aux plans de sauvetage financier de pays ou de banques européennes.

La demande la plus irritante consiste à limiter les allocations sociales versées aux travailleurs européens non britanniques. Ce faisant, plus de 200 000 travailleurs polonais se verraient priver pendant quatre ans d'allocations familiales versées à leurs enfants restés en Pologne.

Cette exigence va à l'encontre d'un principe fondateur de l'Union : la mobilité de la main-d'oeuvre. Trouver un compromis acceptable ne sera pas facile.

Plusieurs Européens déplorent que Londres veuille se négocier une adhésion à la carte à l'Europe.

Déjà, le Royaume-Uni ne fait pas partie de l'espace Schengen qui permet la libre circulation des gens qui entrent en Europe. Cela lui permet d'échapper à la crise des migrants. (Londres s'est engagé à accueillir seulement 20 000 Syriens d'ici cinq ans).

Il a dit non à la Charte des droits fondamentaux de 2013, s'est soustrait à la plupart des instruments de coopération en matière policière et pénale. Depuis 1984, il a droit à un rabais de cotisation au soutien de l'agriculture.

Un peu comme le Québec perçu au Canada anglais comme un enfant gâté, le pays d'Élisabeth II est vu de plus en plus comme la cinquième roue du carrosse.

Un peu comme la Confédération canadienne a besoin du Québec, l'Union européenne a besoin du Royaume-Uni garder sa cohésion, mais ce dernier a besoin de l'Écosse pour éviter sa déliquescence.

Si une entente n'est pas trouvée, les chefs européens devront se rasseoir plus tôt que tard.