En prenant les commandes de la Réserve fédérale américaine (Fed) le 31 janvier 2014, Janet Yellen savait la tâche titanesque qui l'attendait: piloter la normalisation de la politique monétaire après une audacieuse incursion dans les eaux non balisées de la détente quantitative.

Son prédécesseur Ben S. Bernanke s'était résolu à foncer dans l'inconnu monétaire pour éviter de voir sombrer l'économie américaine, et mondiale, dans une grande dépression, comme celle des années 30.

Il sera parvenu à limiter les dégâts à une grande récession. Ramener le système financier à bon port reste toutefois une entreprise inédite qui n'est pas sans périls. Mme Yellen s'y est préparée sans doute mieux que quiconque.

Elle n'a qu'à se rappeler la tempête sur les marchés obligataires, au printemps de 2013, après que M. Bernanke eut seulement évoqué l'idée de ralentir la cadence de la planche à billets, à compter de l'automne.

Un premier resserrement?

L'initiative aura finalement été amorcée en décembre seulement de cette même année. C'est il y a à peine un an, avec Mme Yellen au timon, que la troisième ronde d'assouplissement quantitatif aura été complétée.

Depuis, Mme Yellen prépare les marchés boursiers, obligataires et des changes à l'amorce d'un premier resserrement monétaire.

Le taux directeur de la Fed, celui du financement à un jour, évolue dans une fourchette de 0% à 0,25% depuis sept ans maintenant. Cette fourchette va grimper de 25 centièmes, selon toute vraisemblance, demain.

Plusieurs personnes influentes souhaitent que la Fed attende encore. Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international, craint que le resserrement monétaire américain accélère une sortie de capitaux des économies émergentes, y créant de l'inflation et des coûts d'emprunt accrus pour les États, souvent déjà très endettés.

Quelques voix, aux États-Unis mêmes, font valoir que tout resserrement monétaire va renforcer le billet vert. Cela nuira aux manufacturiers américains qui peinent déjà à exporter, voire à concurrencer des compétiteurs étrangers (canadiens, européens, mexicains) qui profitent de leur monnaie affaiblie face au dollar.

D'autres encore soulignent que l'appréciation indue du billet vert met en péril beaucoup de sociétés non américaines qui se sont endettées en dollars pour financer leur expansion. Les plus pessimistes y voient même un risque à la croissance mondiale, déjà faible à quelque 3%.

Quelques-uns enfin, au sein même de la Fed, plaident qu'il n'existe encore aucune pression inflationniste susceptible d'amener à moyen terme l'augmentation annuelle du coût de la vie près de la cible de 2%.

Reste que la Fed est rendue à un point où elle doit bouger, ne serait-ce que timidement, pour ne pas compromettre sa crédibilité. Voilà pourquoi sa présidente Yellen répète depuis plusieurs mois déjà que l'imminent resserrement ne sera pas comparable aux précédents, ni par son ampleur ni par sa cadence.

Pas question donc de faire grimper le taux directeur à 20%, comme l'avait fait la Fed de Paul Volcker en 1981 pour vaincre la stagflation au prix d'une récession profonde.

Pas question non plus de procéder à une trop longue série de petites hausses consécutives de 25 centièmes, comme celle initiée par Alan Greenspan en 2004 et complétée 17 hausses plus tard par Ben S. Bernanke en 2006. Cela a porté le taux directeur de 1% à 5,25%. La lenteur du resserrement a nourri la bulle immobilière avec les conséquences que l'on sait quand elle s'est dégonflée à partir de 2007.

Le resserrement qui s'annonce sera entièrement tributaire de la conjoncture, sans horizon défini pour une normalisation complète. Ainsi, une première hausse cette semaine peut fort bien être suivie d'une pause de quelques mois. Mme Yellen saura prendre son temps afin d'éviter de faire toute marche arrière compromettante.

À la mi-septembre, les 17 membres du Comité de politique monétaire voyaient le taux directeur à 1,37% dans un an, ce qui suppose quatre hausses en huit dates de fixation l'an prochain, à 2,625%, fin 2017, et aux environs de 3,25%, fin 2018. Ils ont alors estimé le taux normal à 3,5%, un chiffre susceptible d'être abaissé demain puisque la croissance potentielle (c'est-à-dire sans surchauffe) est maintenant vue aux environs de 2%, contre plus de 3% avant la Grande Récession.

À contre-courant

Si minimes soient-elles, les hausses de taux directeurs qu'annoncera la Fed iront à contre-courant des politiques monétaires assouplissantes pratiquées par les autres grandes banques centrales, à l'exception peut-être de la Banque d'Angleterre, qui envisage de serrer la vis en 2016.

Les taux d'intérêt à court terme vont augmenter modestement. Ce sont toutefois les mouvements sur les taux obligataires à moyen et à long terme que la Fed devra surveiller.

Les titres de dette de qualité sont anormalement chers. Mal négocié, le virage monétaire peut entraîner une poussée des taux et figer les capacités d'emprunt des États moins bien notés et des entreprises qui se financent sur les marchés plutôt qu'à la banque.

Jusqu'ici, Mme Yellen déploie avec succès toute sa science pour éviter de faire des vagues. Sans doute sait-elle aussi qu'il faut se méfier des eaux dormantes...

C'était en juin 2006

Le 29 juin 2006, sous la direction de Ben Bernanke, la Réserve fédérale hausse son taux directeur pour la 17e fois consécutive, à 5,25%. L'institution n'a annoncé aucune hausse depuis. Portrait d'une époque lointaine.

> Barack Obama est sénateur de l'Illinois, le Parti libéral du Canada se cherche un nouveau chef après le départ de Paul Martin et André Boisclair est chef du Parti québécois.

> Don Matthews est l'entraîneur-chef des Alouettes de Montréal, l'Impact joue ses parties locales au Centre Claude-Robillard, et Guy Carbonneau s'apprête à prendre les rênes du Canadien après quelques mois à titre d'entraîneur adjoint.

> C'est la fin de la TPS (taxe sur les produits et services) à 7%. Elle tombera à 6% deux jours plus tard. C'était une promesse des conservateurs de Stephen Harper, fraîchement élus en février.

> BlackBerry, connue sous le nom de Research In Motion, détient 36% du marché des téléphones intelligents, à égalité avec... Palm. L'iPhone n'existe pas encore.

> Justin Bieber existe, mais personne n'est encore au courant, Miley Cyrus devient l'idole des jeunes filles en personnifiant Hannah Montana dans une nouvelle série de Disney, mais personne ne peut communiquer son admiration sur Twitter, qui n'existera pas avant deux bonnes semaines.