Le concept d'exception culturelle a été inventé en France. Il voulait décrire le droit d'un pays de soustraire la culture des accords commerciaux, comme les traités de libre-échange ou les règles de l'Organisation mondiale du commerce, parce que la culture n'est pas une simple marchandise et parce qu'il est légitime pour un pays de vouloir protéger sa culture nationale.

Je trouve qu'on abuse souvent de l'expression. On a élargi le concept pour justifier le fait que la culture soit mise à l'abri des décisions de nature économique. Je ne crois pas que c'est justifiable. L'aide publique à la culture ne relève pas du droit divin, les subventions ne doivent pas être inaliénables et éternelles. On doit aussi exiger de la culture une reddition de compte, l'atteinte d'objectifs, la recherche de l'efficacité.

Et dans le cas actuel, quand l'impasse financière de l'État est telle que même les deux vaches sacrées que sont la santé et l'éducation doivent faire de sérieux efforts, ce n'est pas raisonnable de proposer que la culture soit épargnée.

Mais le concept d'exception culturelle, utilisé prudemment, doit faire en sorte que cette logique économique et financière soit appliquée avec tact et intelligence, parce que les industries culturelles sont fragiles, mais surtout parce que les immenses bienfaits de la culture ne peuvent pas se mesurer de la même façon que la production de maïs-grain.

Le secteur culturel crée des emplois et génère de l'activité, mais son rôle de véritable levier économique et social est beaucoup plus complexe et difficile à mesurer, comme ses effets sur l'éducation, sur l'ouverture, sur la dynamique des villes et leur pouvoir d'attraction, sur le tourisme. Par exemple - c'est le bon week-end pour en parler - le fait que Montréal soit à la fois une capitale mondiale du jazz et du cirque.

Mais ce qu'on note, c'est que dans ses efforts d'assainissement des finances publiques, le gouvernement Couillard n'a pas manifesté ce tact nécessaire. La réduction de 20 % des crédits d'impôt aux entreprises dans le budget Leitao était, à sa face même, une mesure paramétrique aveugle. On frappe tout le monde, sans égard au mérite. On espère que cette mesure d'urgence est temporaire et que la Commission sur la fiscalité proposera des mesures plus fines. Mais il est clair que cela affecte plus les industries culturelles qui sont vulnérables.

L'autre décision, très étonnante, c'est d'avoir imposé aux musées une coupe spéciale d'environ trois millions, une mesure qui envoie de très mauvais messages.

Le premier, c'est le dumping. On demande aux quatre grands musées, dont les budgets sont gelés depuis 10 ans, qui sont déficitaires, et qui devraient, selon un rapport tout récent de Claude Corbo, être mieux financés, de faire un effort considérable équivalant à 5 % de leur budget. Mais le ministère lui-même, dont les crédits de fonctionnement restent stables à 62,6 millions, est épargné !

Le second message, c'est évidemment que les musées ne sont pas importants. Et pourtant, ce sont des institutions essentielles pour la vie collective, l'éducation, le tourisme. On ne peut pas ne pas subodorer dans ce choix l'indifférence pour les grandes villes, où se trouvent les grands musées, et particulièrement pour Montréal.

Le troisième mauvais message, c'est que le Conseil du trésor croit sans doute que ces musées pourront se débrouiller grâce à leurs donateurs. Mais si les dons servent à réduire la subvention gouvernementale, c'est au contraire la meilleure façon de décourager le mécénat naissant au Québec.

Il y a un quatrième message, et c'est de punir l'excellence. Je pense au Musée d'art contemporain en pleine renaissance et surtout au Musée des Beaux-Arts de Montréal, une très grande institution culturelle, extrêmement performante, un levier pour Montréal. Ça s'appelle compromettre l'avenir pour gérer le présent.